Dylan

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Le diable se trouve dans les détails. Et l'enfer, dans les habitudes. Pour cela, observer des détails sans importance dans le comportement et les habitudes d'une personne autre que soi est une perte de temps.

Je ne connais pas mes propres tics et habitudes. En cet instant, je réalise que j'ai perdu un temps monstre, car je sais que : elle a besoin de bruit pour se concentrer, la glace à la vanille lui remonte toujours le moral, plus, elle en raffole, elle marche sur de longues distances pour se vider la tête, elle n'aime pas croiser de la tomate dans ses plats, elle fait le ménage lorsqu'elle est frustrée.

Adossé à l'encadrure de la porte, un pot de Belly saveur vanille en main, je la regarde recommencer encore et encore le ménage. Les meubles, le carrelage, les murs, les plantes, rien n'est épargné. Pourquoi se laisser marcher dessus ? Pourquoi se contenter de subir ? Je n'aurai sans doute pas de réponses à mes questions. Je ne suis pas sûr d'en vouloir en fait. Ce masque impassible qu'elle porte est assez rageant. Masque qui présente une fissure en ce jour.

Je n'ai pas encore mis la main sur ADAMS. J'ai assez de problèmes avec la petite Morgane qui est toujours dans le coma, sans oublier cet imbécile de J. J'ai tout ce merdier à régler. Alors pourquoi je me sens concerné par ce qu'elle peut ressentir en ce moment ? Pourquoi ai-je balancé la caisse de mon connard de cousin du haut d'une falaise en raison de l'expression sur le visage de MILLER ? Pourquoi avais-je tant envie de buter cet imbécile ? Bof, m'en fou.

—T'auras beau frotter, la table ne sera pas moins noire. C'est de la peinture MILLER, pas de la crasse, fais-je un peu amuser face à cet entêtement enfantin.

—Je sais, fait-elle en se tournant vers moi, torchon en main. Son regard passe alors de mon visage au pot de glace que je tiens en main.

—T'en veux ?

—Non. Elle répond en arquant un sourcil, perplexe, avant de se reconcentrer sur sa tâche.

Rhaaa ! qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire d'elle ?

T'as pas à t'en occuper connard.

À bout de patience, je m'avance vers elle, l'agrippe par le bras et l'emmène s'asseoir.

—Je t'ai dit d'arrêter de frotter MILLER. Tu m'irrites.

—Que veux-tu, Dylan ?

—Hum ?

—Rien. Laisse tomber. Je peux ?

—Quoi ?

—La glace, je peux toujours en avoir ?

Bah ! voyons.

Elle est assez prévisible. Alors qu'elle s'enfile une quantité incroyable de sucre, elle demande :

—Tu peux faire semblant de ne pas me détester ? Juste aujourd'hui. Comme si rien n'avait changé. Retourner dix ans en arrière.

Qu'est-ce qu'elle me sort encore comme bêtises ? Faire semblant de ne pas la détester ? Comme si rien n'avait changé ? Tout, tout a changé. Il est hors de question que je me prête à un jeu aussi stupide.

Assise sur le carrelage, les jambes croisées, le pot de glace dans une main et une grosse cuillère dans l'autre, elle me fixe.

—Ne dis pas de bêtise.

—Dylan, s'il te plait. J'ai besoin de voir mon ami que j'ai perdu. J'ai besoin de lui en ce moment.

Un ami ? Moi ? Foutaise.

Je sais cependant que je vais céder à son caprice. Il faut croire que je ne retiendrai jamais la leçon. Avec un soupir, je reprends :

—Humm. Approche. Par contre, je veux voir celle que j'ai connue à cette époque.

Pendant un instant, elle me regarde, hésite, puis me rejoint sur le sofa avec un sourire satisfait sur les lèvres. Je sens que je vais regretter cette décision.

La tête posée sur mon épaule, elle me parle de ses ambitions, de cinéma, de voyage et tout un tas d'autres conneries que j'écoute en lui pinçant le nez de temps à autre pour lui faire une petite voix. Petite voix qui me fait marrer. Soudain, relevant la tête, elle me fixe, plus précisément mes lèvres. Avec un sourire amusé, je l'interroge :

—Qu'est-ce que t'as à me reluquer de la sorte meuf ?

—Tes lèvres.

—Qu'est-ce qu'elles ont ?

—J'ai envie de les embrasser.

Elle est... Sérieuse ? Stupéfait, je la regarde, incrédule. Elle ne cille pas, et scrute ma réaction. C'est vrai que ce brin de folie, d'honnêteté sans faille et de sournoiserie est caractéristique de celle que j'ai connue. Celle qui dit ce qu'elle pense haut et fort sans se soucier du reste. Celle qui n'a jamais existé. C'est si facile pour elle de passer d'une personnalité à une autre ?

—Alors, fais-le.

Sans attendre, elle délaisse son dessert, s'approche encore plus, pose ses paumes sur mes joues et effleure délicatement mes lèvres des siennes. Immobile, je la regarde faire. Je n'ai pas l'intention de l'arrêter. Putain, on était censé se comporter comme il y a dix ans, faire semblant que rien n'a changé. C'est-à-dire, causer, l'écouter parler non-stop de tout ce qui l'entoure, de ce tout ce qui l'énerve, s'insulter et se pourchasser comme des gamins. Rien de plus. Alors qu'est-ce qu'elle fout ? Qu'est-ce que je fous ?

Ses lèvres sur les miennes se font plus pressantes, et moi, plus pommé que jamais. J'entrouvre légèrement la bouche et lui cède le passage. Ses lèvres sucrées, sa respiration, sa langue. Bordel, je viens de réaliser que la situation dérape. Tout est en train de partir en couilles. Toutefois, je n'ai pas la tête à réfléchir à quoi que ce soit. Après quelques minutes à me rouler des pelles, je la sens reculer. Sans un putain de raison, je l'en empêche. Je crochète sa nuque. Peu enclin à rompre le contact, je l'attire contre moi et explore sans retenue sa bouche. Elle se laisse tomber en arrière et mon corps écrase le sien. Sa main effleure mon abdomen et un grognement m'échappe. Je me sens vriller grave. Son odeur. Son touché. Je déplace mes lèvres sur sa joue, son menton, et son cou, que je lèche ardemment. Mon autre main sous son chemisier est plus avide de découvertes.

Putain, reprends-toi ducon. C'est Ivy MILLER, tu la détestes. Tu ne peux pas te permettre d'être à nouveau manipulé. Elle partira, elle te tournera le dos. Elles partent toujours.

C'est déjà trop tard. Mon prénom qu'elle prononce dans un soupir finit de m'achever. Bordel ! cette meuf. Je veux goûter au moindre centimètre carré de sa peau. Je veux entendre sa voix. Je la veux tout simplement. Pour la première fois de ma vie, je touche une femme de la sorte. Une meuf que je suis censé avoir en horreur. Pourtant, je n'ai pas envie de m'arrêter. Je ne m'arrêterai pas. Je veux la faire mienne. Quitte à le regretter demain.

Quelle importance ? Chacun fait semblant.

Par-delà sa cruauté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant