Il ne faut pas plaisanter avec ce genre de chose. Jamais. Et je le sais, père ne plaisante pas. Son expression dégouline d'inquiétude telle une dose de sirop d'érable coulant sur une bonne pile de crêpes chaudes. J'ai envie de crêpes.
Il devrait pourtant le savoir, que, dans ce bas monde, il y a deux catégories de personnes qu'on ne peut conseiller. Un cur amoureux et une personne qui refuse de voir l'évidence même. Et dans la première catégorie se retrouve la deuxième. Autrement dit, c'est sans espoir. J'en ai moi-même conscience.
Mon esprit est agité, je nage en eau trouble. J'ai besoin de savoir sans en avoir envie. J'en oublie presque que je suis morte de froid, j'ai dit presque. Père commence à parler, mais ne termine pas sa phrase. Il n'en a pas l'occasion. Une main se saisit de ma taille me faisant frissonner, vous l'avez deviné, brutalement comme toujours, non, je n'ai pas frissonné de froid et bien sûr il s'agit de Dylan. Pour la première fois, il me prend par la taille et non par le bras ou par les épaules. Pourquoi ? Mystère. Cependant, ce n'est pas pour me déplaire. La sensation est inhabituelle, envoûtante.
Ne me laissant pas le temps de réagir, il me ramène à lui, fait un signe de la tête à père et lui tourne le dos afin de se diriger vers la sortie avec moi.
—Dylan, il faut que je parle à mon père. Je tente.
Si je croyais voir de la colère en lui il y a un instant, je me rends compte que cela n'était qu'une infime partie de l'iceberg. Ses mâchoires sont tellement soudées qu'on a l'impression qu'elles sont liées à jamais. Ses magnifiques yeux sont comme les balles d'un révolver. Balles qui ne manqueraient pas leur cible. Il y règne un vide, un vide sidéral qui engloutirait quiconque oserait s'approcher. Ses doigts posés sur ma hanche présentent de petites coupures rougies de sang. Sa peau tiède, il n'y a pas trente minutes est à présent froide. Je sens la colère, la rage émanant de tout son être.
Je me tourne une dernière fois vers mon père, qui, toujours arrêté, me couve d'un regard attendri, protecteur, impuissant. Qui est cet homme qui me regarde avec autant de douceur ?
Je m'adresse à nouveau à mon obsession :
—Dylan.
—Il faut... que je parte d'ici... avant de commettre l'irréparable, articule-t-il.
Il lui a fallu une énergie déraisonnable pour prononcer cette petite phrase. Je le sens lutter contre je ne sais quoi. Il essaie de garder le contrôle, je le devine à la tête qu'il fait, en raison de la force qu'il met dans ses doigts posés sur ma hanche.
Pourquoi se mettre dans un tel état ? Nous a-t-il entendus ?
Quoiqu'il en soit, ce n'est pas la peine de se mettre dans un état pareil. À quelques pas de la sortie, j'essaie de me défaire de son emprise, le temps de récupérer mon manteau accroché du côté de lui, mon manteau chéri tu m'as tant manqué, vient voir maman. Bien évidemment, il resserre sa prise m'arrachant une grimace. J'ai toujours rêvé de ce genre de proximité entre nous, mais là, c'est plus une punition. Mon manteau, c'est lui qui s'en empare, qui me le passe l'air absent. Puis, plus un mot.
J'aurais aimé parler à Callie avant de partir, elle me manque tellement. J'ai peur qu'elle parte sans que je puisse lui dire au revoir. Elle part pour ses études en droit. Je ne veux pas que l'histoire se répète. C'est complètement ridicule, car je sais que Callie n'est pas Dylan, je sais qu'elle ne va pas partir sans me dire au revoir, sans me serrer très fort dans ses bras. Je sais qu'elle m'appellera chaque soir pour me raconter sa journée, pour que nous riions ensemble de nos soucis, de nos joies. Et surtout, je sais qu'elle ne me détestera pas. Mais je n'y peux rien.
Cela fait un moment que sous la faible lumière des réverbères, sur un paysage noirci par les ténèbres de la nuit, sur une route solitaire, attristées par la joie feinte des enfants d'Adam qui la foulent tous les jours, nous nous éloignons peu à peu de la résidence des JONES.
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Par-delà sa cruauté
RomanceJe me nomme Ivy. Ivy Miller. Depuis toute petite, j'ai toujours adoré les contes de fées. J'ai toujours rêvé de mon prince charmant sur son beau cheval blanc. Cependant, ma réalité est tout autre. J'aurais tellement voulu tomber amoureuse d'un bea...