— Non, papa. Il en est hors de question. Je ne veux pas.
Je ne veux pas d'un fiancé, je ne veux pas d'un mariage arrangé. Je ne connais pas cet homme que tu souhaites m'imposer, cet homme à qui tu as osé remettre le tableau, ma peinture inachevée, ce tableau. Je veux déménager d'ici. Je veux me trouver un appartement. Je veux juste vivre comme je veux. Sans me demander si mon sourire est assez convaincant. Sans me demander combien de temps je dois encore retenir ma peine, avant de pouvoir rentrer à la maison, dans ma chambre, et pleurer. J'en ai marre de tout garder à l'intérieur. Je veux me libérer de toi.
—Qu'est-ce que tu racontes, Ivy ? On avait décidé que tu te marierais et...
—Non, papa. Tu, avais décidé. Moi non, je veux juste que tu me laisses tranquille ! Et puisque tu tiens tant à ce mariage, fais-le. Épouse-le, ce Wayne WHITE.
Une douleur vive sur ma joue, un son distinct, et moi qui me retrouve au sol. Je venais de recevoir une gifle. Il vient de me gifler.
—Tu vas te taire, oui !? La dernière fois que tu as décidé de vivre en n'en faisant qu'à ta tête, ta grand-mère mourrait alors que tu peignais un stupide tableau !
Non, il n'a pas dit cela. Il n'oserait pas. Il ne me ferait pas une chose pareille. Je... c'est méchant, mesquin, sournois.
C'est surtout vrai.
Oui. La gifle ne fait pas mal. En fait si, mais pas plus mal que les mots que je viens d'entendre. J'ai souvent entendu dire que seule la vérité faisait mal. Je réalise à quel point cette affirmation est vraie. Ça fait très mal.
La main sur ma joue, je n'entends pas ma mère entrer dans la pièce. Cependant, sa colère, elle, est tout sauf discrète.
—Joshua MILLER ! hurle-t-elle avant de nous rejoindre de sa démarche élégante. Ne lève plus jamais ta main sur notre fille. Plus jamais.
Depuis quand est-elle là ? Qu'a-t-elle vu ? Surtout, qu'a-t-elle entendu ?
—Amélia, abstiens-toi d'intervenir lorsque je discute avec ma fille.
—Je n'interviendrai pas tant que tu ne lèveras pas la main sur mon bébé. Ta fille. En tant que membre de sa famille, as-tu apporté du soutien et du réconfort à ta fille ne serait-ce qu'une fois ?
Elle est très furieuse. Même un enfant le verrait. En temps normal, je les aurais calmés. Seulement, là, je n'en ai pas envie.
—Amélia !
—Une dernière chose, ne te sers plus de la mort de ma mère pour justifier ton comportement.
C'est la première fois qu'elle prend ma défense, qu'elle s'oppose à son mari. Pourquoi ? Aurait-elle pitié parce que je suis revenue à la maison ? Je n'ai pas la force de me lever. Je n'ai pas la force de pleurer. Je me suis promis que je ne verserai plus de larmes, je ne verserai de larmes pour personne. Même pas moi.
Privée de la possibilité de me mettre en colère, d'être de mauvaise humeur et d'être frustré. Les larmes étaient le seul moyen pour moi d'évacuer le trop-plein. Ce n'est plus le cas, alors je n'ai pas à pleurer. Afin de me retenir, je me mords la lèvre inférieure.
Je ne lui demandais pas de me souhaiter un joyeux anniversaire. Je n'attendais pas un cadeau, et encore moins qu'ils fassent de cette journée une journée spéciale. Néanmoins, il aurait pu éviter de me sortir ces mots. Juste aujourd'hui.
La douleur tue l'âme. La culpabilité, elle, la ronge peu à peu. Elle l'assombrit.
Je veux partir. J'ai besoin de souffler.
Ignorant ma mère qui m'appelle de son ton inquiète, la dispute et le boucan qui se déroule en ce moment même par ma faute, un pas après l'autre, je m'éloigne de la maison. Le ciel est sombre. La lune, elle, brille de toute sa splendeur. Le regard rivé au loin, je marche sans prendre le temps d'apprécier le paysage à sa juste valeur. Mes pieds, enfermés dans des tennis d'un jaune outrageant, me font mal. Néanmoins, je ne m'arrêterai pas. Je ne pense pas à m'arrêter. Les kilomètres que je parcours me semblent si longs, et ma destination inatteignable.
Ils diront que l'effort se trouve au bout du chemin. Loin de moi l'idée de les contredire, mais, en ce moment précis, seule la plage se trouve au bout de mon chemin. Les converses en main, je ressens le sable fin du bout de mes orteils. L'air marin me paraît alors si chaleureux et la plage si calme. Je ne m'arrêterai pas. Je ne pense pas à m'arrêter. Sous ce clair de lune, cette immense bleue me fait envie. Mes chaussures toujours en main, je m'avance doucement vers cette eau froide. Eau froide qui m'arrive aux genoux, puis à la taille et enfin au cou. Je ne m'arrêterai pas. Je ne pense pas m'arrêter. Tout est si calme et si apaisant. Je prends une profonde inspiration, ferme les yeux et m'immerge complètement dans l'eau salée.
Rassurez-vous, ce n'est pas une tentative de suicide. Juste un Burn out émotionnel. Un trop plein de culpabilité, de remords. La pression au-dessus de moi augmente au fur et à mesure que j'avance. J'ai ainsi la sensation que mes peines prennent forme et m'imposent leur poids. Je ne pleure pas. Je ne le ferai pas. Mes poumons réclament le droit de s'approvisionner, chose que je refuse. Je vois des images de mon passé défiler dans ma mémoire : un regard fier, un sourire attendri, des bras qui m'enlacent, des biscuits tout droits sortis du four, un visage qui porte les traces du temps, des cheveux dont la blancheur s'apparente aux nuages. Soudain, un ciel magnifique, un jardin de roses, une toile de peinture inachevée, un téléphone qui n'émet aucun bruit, et pourtant des appels incessants. J'efface tous ces souvenirs. Je veux les effacer, mais je ne peux pas. Le chronomètre imaginaire qui siège au fond de mon cerveau déboussolé marque approximativement trois minutes quinze lorsque je sors la tête de l'eau et avale une grande bouffée d'air. Ai-je passé trois minutes quinze sous l'eau ? Je ne sais pas. Sûrement pas. L'exactitude de cette horloge n'est pas vérifiée. Elle dépend de la conception que je me fais du temps qui s'écoule.
Assise sur le sable, trempé jusqu'aux os, je fixe l'horizon qui se dessine au loin. L'air me paraît alors moins chaleureux. Ces bruits de pas qui écrasent le sable, qui viennent dans ma direction, sont le comble même de l'arrogance.
—Pourquoi fais-tu cela ? fais-je sans prendre la peine de regarder le visage de la personne qui se tient à quelques pas derrière moi.
Je n'ai pas besoin de regarder. Mes autres sens l'ont reconnu. L'odeur boisée de son parfum qui me titille le nez, le bruit de ses pas qui dénote de l'assurance. Dylan.
Ma question plane et reste sans réponse. Il n'y a pas un seul bruit. Je le sais, il est derrière moi et me regarde. Je reprends la parole une seconde fois tout en gardant mon calme.
—Tu n'as pas le droit.
—De quoi ? me demande l'objet de mon désir, le sujet de mes pensées, la raison de mon désarroi. Cet imbécile que je ne veux plus revoir.
VOUS LISEZ
Par-delà sa cruauté
RomanceJe me nomme Ivy. Ivy Miller. Depuis toute petite, j'ai toujours adoré les contes de fées. J'ai toujours rêvé de mon prince charmant sur son beau cheval blanc. Cependant, ma réalité est tout autre. J'aurais tellement voulu tomber amoureuse d'un bea...