Chapitre 53

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C'est impossible.

Impensable.

Impardonnable.

Improbable.

C'est... non.

Impossible.

Mes plans déchirés en mille morceaux. Mes maquettes, réduites en miettes. L'écran de ma tablette, fissuré. Tout mon travail est réduit en puzzle et tapisse le sol de ma chambre. Tout mon travail, parti en poussière. Mes efforts, mes joies, anéantis. Le Southworth Bridge devait être mon bébé. Mon chef-d'uvre. Obtenir ce marché n'était qu'une formalité. La main toujours sur le poigné de la porte, je prends conscience de la perversité humaine. Devant un tel cauchemar, mes jambes se dérobent et je me laisse tomber sur les genoux. Impuissante, perdue. Aucun mot ne me vient. Aucune larme ne coule. Tout est détruit. Et moi, la directrice générale de MILLER Building, ne peux rien faire d'autre qu'observer ce qu'on vient de m'enlever. De m'arracher.

Les minutes s'écoulent, les secondes fuient l'ennui, et moi, je reste assise. Je regarde.

Hayden est dans la cuisine et Dylan est dans son bureau d'où il n'en est pas sorti de la journée, pas une seule fois. Adrian, lui, est au salon, devant la télévision. Ils étaient trois en mon absence. Ils sont trois dans cette maison. Deux d'entre eux me détestent, mais seule une personne serait capable d'un tel acte. Cette personne est rentrée dans ma chambre pendant mon absence. Il a

Il ne fallait pas laisser tout ton travail au vu de tous. Dans une chambre que tu ne fermes jamais à clé.

Il a osé. J'ai envie de l'étrangler.

Calme-toi, Ivy. Ce ne sont que des dessins.

J'ai besoin de le voir souffrir, de le voir regretter. Je...

Dans un bond, je me relève et cours vers le salon, vers cet homme qui en ce moment ne cesse de m'apprendre ce qu'est la haine. J'ai envie de le voir souffrir.

Ses cheveux noirs, ses yeux vairons, ce sourire qui trompe... j'ai envie de le voir pleurer.

Les poings serrés autour de quelques morceaux de mes dessins, je le regarde. Je l'observe. Je l'imagine se tordre de douleur. Je l'imagine disparaître.

Non. Ne rejoins pas le côté obscur Ivy, souhaiter la mort de quelqu'un c'est glauque. Ce sont des dessins, tes dessins, tes idées, tu peux les refaire. Autant de fois que tu voudras.

Il a fait cela parce que j'ai refusé de céder à son chantage ? Parce que j'ai refusé de lui donner de l'argent ? Mon argent ?

J'ai besoin de constater sa mort. Sa peine.

Malgré cette colère qui me submerge, je ne fais que regarder cet imbécile devant moi. Je ne le tape pas. Je ne lui crie pas dessus. Calmement, je m'exprime :

—C'est toi n'est-ce pas ? Adrian. C'est toi.

Son sourire ne fait qu'alimenter cette envie de meurtre qui nait en moi. Cependant, je ne fais rien. Trop habituée à encaisser, à subir sans avoir le droit de riposter, j'en viens à confondre le masque que je porte à ma véritable personnalité. Je n'ai pas spécialement envie de réagir. Je me demande pourquoi. Suis-je juste dépassée ? Ou suis-je en train de m'oublier ?

Adrian, si ton objectif était de m'apprendre à détester, à haïr, tu peux être rassuré. Je te déteste plus que nul autre en ce monde.

Je sens le regard de Hayden sur moi, sur nous. Un verre de jus à la main, il me regarde, perdu. Et... moi je... Adrian. Je veux qu'il parle, qu'il essaie de se justifier.

—De quoi parles-tu belle-sur ?

Sérieusement ?

—Qu'est-ce qui se passe ? intervient Dylan qui descend les escaliers, cheveux mouillés.

Sa question n'aura pas de réponse. Non. À la place, je prononce calmement le prénom de son cousin que je fixe toujours.

—Adrian.

—Ivy..., tente Hayden à son tour en s'approchant.

Je ne lui laisse pas le temps d'atteindre notre niveau, de la même façon que j'étais descendue, je remonte les escaliers. C'est-à-dire en courant.

Je ne vais pas me mettre à pleurer. Non, pas cette fois. Je ne vais pas non plus me morfondre sur mon sort. Je vais tous simplement faire le ménage. Oui, le ménage. Il faut que j'évacue toute cette frustration. Autrement, je commettrai un meurtre. Et ça, c'est illégal.

Torchon et bassine d'eau en main, j'ignore Hayden qui cherche à me parler. Je ne pense à rien et frotte. Je ne me pose pas de questions quant au silence qui s'en suit. Silence qui dure une quarantaine de minutes. Je n'écoute pas non plus les hurlements de Adrian qui font suite au calme. Je fais fi du tintamarre qui se déroule au rez-de-chaussée. Certaines bribes de leur conversation me parviennent : Dylan qui vient de pousser la voiture de son cousin du haut d'une falaise en prétextant de l'art, Hayden qui tente de calmer la situation, Adrian qui me traite de salope. Trop concentrée à nettoyer tout ce qui me tombe sous la main, leurs voix me semblent soudain lointaines. Je ne veux pas les entendre.

J'ai toujours su prendre sur moi, m'adapter, jouer le rôle qui est mien.

Eux, ils ont toujours trouvé le moyen de me faire mal. Que ce soit Adrian, Dylan, ces inconnus ou même cet inconnu qui vient encore une fois de m'envoyer un message. Message que je ne lirai sûrement pas, tout comme le mail de BROWN. Je ne le lirai pas. Je ne lirai plus.

J'en ai jusque-là du monde qui m'entoure.

Par-delà sa cruauté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant