1/ Accidentellement vivant.

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 – Tao, grouille-toi, on va se faire pourrir !

Tim trépigne devant la porte du centre d'entraînement, son sac sur la tête pour se protéger de la pluie. Je pique un bref sprint jusqu'à lui, évite une flaque d'un bond et pousse la porte.

– On n'est pas si en retard, et de toute façon, on a une excuse.

– Tu parles, c'est une excuse bidon.

– Pourtant, c'est vrai.

– « Il y avait des embouteillages », c'est une excuse bidon.

– Mais c'est la vérité.

– Et puis, à toi, Joe ne dira jamais rien.

Je me mords la lèvre sans répondre. Il a un peu raison. Toute l'équipe me taquine sur ça, et certains coéquipiers m'appellent « Chouchou ». Même Tim, des fois.

Je le suis dans les couloirs gris et verts, dépasse les photos des gloires du club accrochées aux murs. Les visages des idoles défilent, fiers et l'expression lointaine. Tim ne les regarde pas. Il ouvre la porte du vestiaire et claironne, réduisant à néant nos chances d'arriver discrètement :

– Salut les gars !

Effectivement, nous sommes les derniers. Avec un clin d'œil, Yann me tape sur l'épaule en sortant, déjà en tenue.

– Dépêchez, on n'attendait plus que vous.

Je me change en quatrième vitesse, puis Tim et moi trottinons vers le terrain d'entraînement. J'en fais le tour pour saluer tout le monde, et échanger des banalités sur le temps de chien que nous avons aujourd'hui. Ronny se plaint d'être déjà enrhumé. Julian ne voit pas où est le problème avec le temps. Lucas et Carlos sont couverts de boue après un un-contre-un très disputé.

Je parcours la place du regard. Il manque quelque chose. Il manque quelqu'un. Il manque Joe.

– Les gars, venez par ici, s'il vous plaît ! crie Luis depuis le centre du terrain.

L'équipe se masse autour de lui. Il se racle la gorge, le visage un peu tendu. Luis a toujours l'air d'être en train de marcher sur une punaise.

– Vous avez sans doute remarqué que Joe n'est pas là aujourd'hui.

Quelques « oui » courent brièvement parmi mes coéquipiers.

– Elle a eu un petit accident, reprend Luis d'un ton badin, elle est à l'hôpital.

À l'hôpital ? Joe ?

Toute l'équipe se tourne instantanément vers moi. Comme si je savais quelque chose.

Je me racle la gorge avant de demander à Luis :

– C'est grave ?

Il prend un air ennuyé.

– Pas trop. Mais elle sera absente au moins une semaine.

Une semaine, ça va.

– Il lui est arrivé quoi ? veut savoir Angel.

Luis tapote sur sa tablette d'un doigt vif.

– Je ne sais pas exactement. En son absence, en tant qu'adjoint, je m'occuperai des séances.

La parenthèse est close. Luis se désintéresse alors du cas de Joe pour détailler le programme du jour.

Je n'écoute que d'une oreille. Je sens des regards insistants sur moi, et j'entends le « gang des Allemands », composé de Yann, Julian et Kev', chuchoter entre eux. S'ils attendent que je dise quelque chose, ils vont être déçus. Je me recentre sur la séance. Mon métier, c'est de jouer, point. Pas de colporter des rumeurs ou des suppositions.

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