Chapitre 9

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Éléa

Assise au milieu de mes affaires, je laisse une grosse vague de nostalgie m'engloutir sous la force des souvenirs. Entre mes doigts, brillante et intacte, la bague de mon père resplendit. D'une main tremblante, je la fais glisser sur le cordon qui habituellement ne quitte jamais mon cou.

La soirée d'hier me revient en mémoire comme un boomerang manquant de peu le coup du lapin. Le soulagement d'être sortie de cette vie de faux-semblant n'apaise en rien la peur qui me noue les entrailles.

Cela ne fait même pas vingt-quatre heures que j'ai remis les pieds dans ce monde et déjà ma carapace se fendille de toute part. Le souci, c'est que je ne sais pas comment être Kierra la bikeuse sans laisser Éléa Blackwood reprendre le dessus. Les limites ne sont plus claires, comme brouillées par mes envies, mes désirs.

La bague retrouve sa place entre mes seins sous mon débardeur noir. Je ne devrais pas la porter ici, pas avec les initiales de mon père gravées dessus, mais je ne peux me résoudre à la laisser une nouvelle fois loin de moi.

Mon ventre gargouille. Je n'ai rien avalé depuis la veille. Mon corps peu habitué à louper des repas proteste vaillamment et ça me fait sourire. Combien de fois mon père m'a-t-il appelé son petit ventre sur pattes quand, en grandissant, je perdais patience dès qu'il était question de nourriture ? Et que ne donnerais-je pas pour l'entendre à nouveau ?

Chassant les ombres de mes pensées, je me relève presque sans grimacer. Après un bain de glace, mes pieds vont beaucoup mieux. Bandés, il ne leur faudra que quelques jours pour entièrement récupérer. En attendant, je refuse de remettre un orteil dans mes tennis. C'est donc pieds nus, les cheveux négligemment noués en un chignon flou et humides que je retrouve le chemin de la cuisine des Hells. Non sans avoir vérifié par deux fois avoir correctement verrouillé la porte de ma chambre.

J'hésite un quart de seconde avant d'en franchir le seuil, mais jugeant que la timidité ne m'amènerait rien de bon dans cette vie, j'inspire profondément et entre.

Tous les regards se posent sur moi. Tous. Sans. Exception.

Un sourire plaqué sur les lèvres, j'ignore les trois hommes qui s'installent les uns après les autres autour de la grande table en bois couverte de plats à emporter. Une chose est sûre, c'est qu'aucun d'eux n'a la discrétion dans le sang. Chacun de mes mouvements est scruté avec minutie. Je peux sentir leur curiosité me picoter la nuque quand j'ouvre le frigo pour en sortir des œufs, des champignons qui ont déjà connu des jours meilleurs, du bacon et du beurre. Je fouille dans les meubles bas à la recherche d'une poêle. Je finis par tomber dessus. Elle est immense, clairement faite pour une cuisine familiale. Ça me va. J'arriverais certainement à gagner quelques points auprès de mes observateurs avec mon omelette. Ou pas. Peu importe.

Dans un autre placard, je trouve un bol dans lequel je casse les œufs, avant de demander à la ronde :

— Vous avez des épices quelque part ? Du sel ? Du poivre ?

Une voix jeune et enjouée, respirant la joie de vivre, me répond aussitôt :

­— Le tourniquet à côté du four, Madame.

Sans me retourner, essayant de cacher mon amusement, je réplique avec autant de sérieux qu'il m'est possible d'en garder.

— Appelle-moi encore une fois Madame et on va avoir un problème toi et moi, gamin.

Des éclats de rire étouffés élargissent un peu plus mon sourire.

— Euh... Désolé, ma... mademoiselle ?

Je ne peux m'en empêcher plus longtemps, j'éclate de rire et me retourne pour faire face à celui qui, je pense, est un prospect du club. Effectivement, c'est le petit jeune qui servait au bar hier soir.

Hell WhispererOù les histoires vivent. Découvrez maintenant