L'encre de ses yeux / Baji x OC

⚡︎ Chapitre 72 ⚡︎

----Only know you love her when you let her go----

Let her go - Passenger 

Mon regard se tourne vers lui, et nos yeux se croisent brièvement, avant qu'il ne se lève et commence à marcher en direction du jardin après avoir balancé le mégot dans un verre en plastique abandonné encore à moitié plein. Sans hésitation, je me lève à mon tour, emportant avec moi le souvenir de notre enfant perdu, suspendu entre les étoiles.

Nous marchons en silence à travers l'obscurité jusqu'à l'orée du bois, guidés par la lueur pâle de la lune. Baji me conduit sur un petit sentier à travers les arbres, et je le suis sans crainte, m'autorisant de temps à autre quelques regards dans sa direction. À la vue de sa silhouette de dos, je peux laisser mon imagination me conduire bien loin en arrière, à une époque où il m'appartenait encore.

À ses côtés, des milliers de sentiments m'assaillent : de la haine, du regret, du chagrin. Mais pas une fois la peur ne vient prendre place au milieu de ce joyeux chaos, même ainsi à l'ombre lugubre des pins. Il finit par stopper sa progression dans un endroit que je n'avais jamais remarqué auparavant, un coin discret à quelques centaines de mètres de notre jardin, où les ombres et les fleurs dansent ensemble dans une harmonie fragile. J'ai pourtant foulé ces bois à de nombreuses reprises dans mon enfance, sous la surveillance partielle et peu attentive de mon enfoiré de géniteur, mais jamais je n'avais remarqué ce lieu, éclairé par la maigre lueur de la lune. Il s'arrête devant un vieux chêne, son tronc noueux baigné de douces ombres lunaires. C'est ici qu'il s'arrête, et c'est ici qu'il s'agenouille.

-J'ai pensé que peut-être... Il ne parvient pas à finir sa phrase, et je dois avouer que le froid et la peur commencent à me gagner. Il a l'air bouleversé, et je suis troublée de le voir ainsi. J'ai peur de découvrir la raison de sa détresse.

Après de longs instants d'hésitation, je relâche mes poings jusqu'alors fermés, persuadée d'avoir laissé la trace de mes ongles en croissant de lune dans le creux de mes paumes. Une dernière inspiration et j'avance de quelques pas, découvrant une petite croix en bois, soigneusement façonnée de ses mains.

Il se penche doucement pour en caresser le bois vieilli, brut et authentique. Je reconnais immédiatement l'ourson en crochet à son pied. C'est Mitsuya qui l'a façonné, j'en mettrais ma main à couper. Le voir ainsi boueux, sali par la terre et le temps finit par achever les dernières défenses que j'avais érigées et je dois me contenir de tout mon soûl pour retenir mes larmes. J'ai déjà trop pleuré, et je me suis juré de me contenir, bien que ce soit un effort surhumain.

La réalisation me frappe comme un coup de poing dans l'estomac. Tout ce temps loin de moi, et loin des siens, il l'avait passé ici, les genoux encrés dans la terre, à préserver le souvenir de notre enfant perdu. Le chérir, le pleurer loin des regards inquisiteurs et de la pitié de ceux que nous considérions comme notre famille. Tout ce temps, je n'avais pas été la seule à porter ce lourd fardeau, et cette constatation me fit plus de bien que tous les mots du monde.

Je crois que nous sommes tout deux incapables de parler. Mais les mots sont superflus à cet instant, et je me contente de tomber à genoux à ses côtés. Ce lieu, cette croix, laissent planer tout ce que nous n'avons jamais su exprimer.

-Merci. de porter son souvenir, d'avoir construit cette croix. Pour ces instants de vie, pour ce bonheur éphémère mais bien présent qu'il a su m'apporter, aussi bref soit-il. Pendant ces quelques mois à ses côtés, je me suis senti revivre, et même si je n'ai plus envers lui les sentiments d'antan, je n'en oublie pas moins ce qui nous liait autrefois. L'amour s'amenuise jusqu'à disparaître, mais l'attachement perdurera éternellement.