Chapitre 40 - Connor

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Je n'ai pas pour habitude de parler de ma vie d'avant.

Il m'a fallu des années avant d'admettre que je ne pourrais jamais faire ce que j'avais prévu depuis le premier jour où j'avais tenu une batte de baseball entre les mains.

Aujourd'hui, tout ça est derrière moi. Mais ça n'a pas toujours été le cas.

— J'avais cinq ans la première fois que j'ai joué au baseball. J'ai tout de suite adoré ça et j'ai littéralement supplié ma mère pendant des semaines de m'inscrire en club. Elle a fini par céder et à six ans, j'ai commencé les entraînements.

Rory m'écoute attentivement.

— Il se trouve que j'étais doué. Vraiment doué. Et ça, mes parents ne l'avaient pas tout à fait prévu. Ils s'imaginaient que mon intérêt pour le baseball allait disparaitre avec le temps, que je finirais par m'en lasser et que, comme mes frères aînés, je me dirigerais vers une brillante carrière. Mais plus les années ont passé et plus je me suis perfectionné. J'ai fini par intégrer l'équipe du lycée et j'ai été repéré au cours d'un match. J'avais dix sept ans tout juste quand je suis passé en régional.

— Tu voulais devenir professionnel ?

— Oui. La vie était belle, même si mes parents n'étaient pas enchantés, ils me laissaient faire. Je progressais, et je me faisais connaître. J'étais jeune et sans doute arrogant aussi. Au bout d'un an, j'avais enfin atteint le niveau qu'il me fallait pour être recruté par un grand club. Le dirigeant de celui de Los Angeles est venu un soir de juin pour me voir jouer.

Je marque une pause parce que la fin de l'histoire est proche.

— Comment ça s'est passé ?

— Super bien. Il est resté des heures et, à la fin, est venu me dire que je l'avais impressionné et que, si j'étais partant, il avait une place pour moi dès la saison suivante. J'allais enfin atteindre le niveau dont je rêvais et j'avais des propositions de quatre énormes équipes à travers le pays. J'étais au summum. J'avais trouvé mon truc à moi. Mais le rêve a été de courte durée. Lors de l'entraînement du lendemain, j'ai un coéquipier qui m'a mis un mauvais coup dans l'épaule. Fracture de la clavicule, et ligaments arrachés.

Face à moi, Rory semble imaginer ce que ça a pu donner et ça n'a rien d'agréable.

— J'ai été opéré en urgence, mais on dirait que l'univers avait décidé qu'il était temps pour moi d'arrêter le baseball parce que le chirurgien qui m'a opéré a fait n'importe quoi et a laissé des dommages irréversibles.

— Comment c'est possible ?

— Apparemment il avait un problème avec l'alcool... dis-je simplement. Mes parents ont porté plainte et j'ai été généreusement indemnisé. Mais mon rêve était fichu. Après ça, mon père n'a pas cessé de vouloir me remettre au travail. Un VRAI travail, selon lui. Il n'arrêtait pas de dire que le sport, ce n'était de toute façon pas une vraie carrière et que tout ça n'était peut-être pas plus mal. Alors j'ai tenu six mois de plus et je me suis envolé vers le soleil de Miami pour dilapider tout l'argent que j'avais reçu comme indemnisation. Parce que pour moi, cet argent était maudit. Il me rappelait sans cesse mon échec.

— Je peux comprendre ça.

— J'en faisais n'importe quoi et puis, et ce n'est pas ce dont je suis le plus fier, tu peux me croire, mais j'ai fini par mettre le nez dans la drogue...

Rory semble sidérée par mon récit. Je pense qu'elle a du mal à imaginer que tout ça ait pu être ma vie à un moment donné quand elle voit ce que je suis aujourd'hui.

— Ça n'a pas duré longtemps. Carter et Cooper sont venus jusqu'ici pour me botter le cul et m'ont mis en cure de désintoxication. Je n'y ai plus jamais retouché. Et puis j'ai rencontré Garett, il avait des idées brillantes, mais pas de mise de départ. J'avais la mise de départ, mais pas de brillantes idées. On s'est bien trouvés finalement et on a lancé notre propre truc. Qui aujourd'hui est devenue une société prospère.

— Oh, mon dieu Connor, je suis tellement désolée.

Elle vient se blottir contre moi et la tension qui m'animait quitte instantanément mon corps. Je me détends en respirant l'odeur de vanille qui s'échappe de ses cheveux et dépose un baiser au sommet de son crâne. _

— Merci.

Elle relève vers moi ses yeux embués de larmes.

— Pourquoi ?

— Pour m'avoir écouté. Pour ne pas t'enfuir maintenant que tu sais ce que j'étais.

Elle passe ses bras autour de mon cou et un soupir s'échappe de mes lèvres lorsqu'elle m'embrasse.

— Je me fiche de ce que tu as pu faire par le passé. Tu étais brisé. Et crois-moi, je sais ce que ça fait. Je sais aussi à quel point on peut réagir de manière irrationnelle. Tu es un homme bien, Connor Coleman. En dehors de ta manie de harceler les serveuses dans les bars, évidemment.

Je souris face à son petit discours d'engagement. Elle me fait du bien. C'est la première personne, en dehors de Garett et de ma famille proche, à qui je confie tout ça.

Et c'est étonnamment libérateur.

— Ce n'était pas vraiment du harcèlement.

— Bien sûr que si, c'en était. Tu étais au bar tous les jours.

— Parce que tu m'avais mis au défi de le faire pour que j'obtienne enfin un rendez-vous avec toi !

— Mais je ne pensais pas que tu allais vraiment le faire. Je me disais que ce serait suffisant pour que tu te dégonfles et que tu passes à autre chose.

— Sauf que je suis venu.

Elle pose sa tête contre mon torse et laisse échapper un soupir de satisfaction.

— Oui, tu es venu.

— Est-ce que tu le regrettes ?

— Pas le moins du monde. Rory C'est vrai que je me méfiais de toi, au début. Mais plus j'apprends à te connaître et plus je t'apprécie.

— C'est marrant, je me disais exactement la même chose.

Nous restons là un moment, dans un silence confortable.

— Tu sais, maintenant je comprends mieux pourquoi tu es aussi proche de tes frères.

— C'est vrai que malgré la distance, on a toujours été soudés. Ta sœur te manque ?

— Parfois, oui. Ce qu'elle a fait est impardonnable et ça m'a profondément et durablement marqué. Mais parfois, j'oublie tout ça et je me dis juste que j'aimerais l'avoir près de moi, comme avant.

— Tu penses que ça arrivera un jour ?

— Pas tant qu'elle est avec mon très cher ex-fiancé. Je ne supporterais pas de les voir ensemble. Il y a longtemps que je n'ai plus de sentiments pour lui, mais tous les deux... C'est comme un rappel permanent ce que j'ai loupé, moi aussi. Mais tu sais quoi ? Qu'ils aillent au diable tous les deux. Parce que je ne me suis pas sentie aussi bien depuis des années. Et que tout ça, c'est grâce à toi. Et je ne t'aurais jamais rencontré s'ils ne m'avaient pas trahi.

Je laisse mon doigt tracer la courbe de ses lèvres et sens mon cœur qui s'emballe. Je ne sais pas comment Rory parvient à faire ça, mais chaque fois qu'elle est dans mes bras, elle me fait oublier tout le reste.

Mais puisque ses sentiments à mon égard se développent et que les miens deviennent de plus en plus difficiles à contrôler, je crois qu'il est temps de lui dire pour mon père.

Et pour ce que ça pourrait impliquer. Parce qu'elle ne mérite pas d'avoir le cœur brisé une deuxième fois.

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