Chapitre 20 : la fuite

25 6 0
                                    

L'assassin

J'émis le code de rassemblement de mes hommes, qui avaient sécurisé la zone depuis les toits. Nous n'étions pas nombreux pour limiter le risque de nous faire repérer en pleine capitale ennemie.

L'ombre de la nuit enveloppait nos corps, nous mettant à l'abri pour le moment. Il fallait s'abstenir d'afficher nos silhouettes, donc éviter ce qui les rendrait visible comme la trajectoire entre les lunes rases et les regards. Le reste irait, même avec le poids supplémentaire qu'il était dans nos déplacements. L'air était encore chargé de tension et l'odeur métallique du sang que j'avais sur moi remontait à mes narines. Mes pensées tourbillonnaient, mais je savais qu'il fallait rester concentré. Je l'avais enfin tué, ce chacal. Son ancien esclave à mes côtés, je jetai un coup d'œil autour de nous. Je le vis regarder vers le bas, où les lanternes étaient rassemblées autour du corps sans vie d'Absalón.

« Par ici », dis-je tout bas en le prenant par le poignet.

L'hybride me suivit après une très courte hésitation. Le toit craquait sous le poids de ses pas. Je décidai d'invoquer la magie de l'air pour les alléger. Je joignis mes pouces et mes index devant ma bouche, prononçai l'invocation et soufflai. Ce n'était pas l'une de mes magies principales mais c'était un sort simple que je maîtrisais. Ils se mirent à briller, et je touchai le dessus de nos quatre chaussures sous son regard incrédule. Nous avançâmes sans bruit cette fois grâce à son action immédiate, et je l'aidai à sauter d'immeuble en immeuble, escaladant parfois, utilisant les échelles rouillées sinon. Les toits en pagode nous offraient la faveur de leurs recoins et la progression en fut facilitée. De là où nous étions, la ville d'Abyssia, capitale de la Principauté de Scellæon, semblait à la fois plus calme et plus menaçante. Nous étions des ombres parmi les ombres, avançant avec précaution sur les tuiles rendues glissantes par la pluie des jours précédents et la mousse qui s'y était développée. Le vent frais de la nuit me fouettait le visage, me tenant éveillé et alerte, et semblait faire de même avec mon compagnon. Il semblait avoir renoncé à me demander des comptes, malgré le fait que je venais d'abattre ce qu'il devait considérer comme son seul protecteur. Il changerait vite d'avis sur ce fait, mais rien ne pressait, tant qu'il me suivait de son plein gré.

Nous progressions plus rapidement que je l'avais anticipé, et je fus soulagé de voir que l'hybride ne semblait pas avoir le vertige depuis les toits. L'ancien esclave, malgré sa silhouette frêle qui trahissait sa récente arrivée sur Genoë, se déplaçait avec une agilité surprenante. De temps en temps, je jetais un coup d'œil derrière nous, mais personne ne nous avait repéré. J'espérais que cela n'arriverait pas de si tôt.

« Encore un peu plus loin, » soufflai-je. Les toitures, bien que proches, présentaient des défis pour lui. Parfois, une gouttière menaçait de céder sous la maladresse de ses prises, d'autres fois, une cheminée ou une lucarne se dressait comme un obstacle à contourner, alors qu'il m'avait suffit de passer au dessus. Mais il avançait, déterminé.

Nous arrivâmes enfin à un point où les toits s'espaçaient davantage, descendant la colline où la capitale était perchée. En contrebas, une rue déserte, mais nous ne pouvions pas prendre le risque de descendre. Notre salut résidait en hauteur. Je désignai un bâtiment plus bas avec une terrasse.

« On saute ? » demandai-je.

L'hybride écarquilla les yeux puis hocha la tête, et ensemble, nous prîmes notre élan pour franchir l'écart. Aidés par le sortilège de vent, je savais que nous ne risquions rien. Lui tenant le poignet, je sentis son pouls s'emballer un instant, mais lorsque nos pieds touchèrent les céramiques en toute sécurité, je le vis sourire en ma direction, rassuré. Il chuchota :

« J'ai l'impression d'avoir volé grâce à votre sortilège. »

Je me retins de rire et affirmai :

« Ne t'inquiète pas, voler arrivera vraiment plus tôt que tu ne l'as prévu ! »

Il demanda de quoi je parlais, mais je lui fis comprendre que nous devions avancer sans tarder.

Nous continuâmes notre progression, veillant à rester à nouveau silencieux et discrets. Les lumières de la ville brillaient faiblement en dessous de nous, et les sons de la nuit étaient notre seule compagnie. Les lunes plus hautes dans le ciel et qui se reflétaient sur les tuiles nous aidaient à voir où nous allions sans faillir. Nous approchions des confins de la ville, là où mes hommes nous attendaient.

Enfin, je les aperçus. Une silhouette fit signe depuis un toit voisin. C'était l'un des miens.

« Par ici » murmurai-je à mon compagnon.

Nous les rejoignîmes rapidement. Il fallait désormais passer l'enceinte, et la garde avait sûrement été prévenue de l'assassinat d'Urío. Une fois mes deux autres compagnons à mes côtés, je leur fis comprendre que je leur expliquerais la présence de l'hybride plus tard. Ils eurent tous les deux un sourire, et passèrent immédiatement à la suite du plan.

Sorèn invoqua un sort de télékinésie dont il avait la parfaite maîtrise pour nous faire flotter jusqu'au sol de la ruelle déserte en contrebas. Nos pieds touchèrent le sol sans un bruit, et je lançai un dernier regard vers le centre ville.

« Par ici, » dis-je en nous dirigeant vers une bouche d'égout dissimulée en contrebas, dont la grille était à moitié désossée vers le bas.

Avec un peu d'effort, nous réussîmes à passer en dessous de la clôture dézinguée et empruntâmes le chemin qui s'ouvrait dans l'obscurité du sous terrain. L'air était humide et nauséabond, un contraste frappant avec la fraîcheur nocturne des toits. Le clapotis de l'eau stagnante résonnait dans les tunnels, mais nous avancions rapidement, guidés par une faible lumière magique que Solgar maintenait au creux de sa main.

« Nous devons atteindre la herse qui a été relevée à la sortie près de la rivière » murmurai-je à l'hybride. Il acquiesça silencieusement, concentré sur notre marche.

Les égouts étaient un labyrinthe, mais nous connaissions le chemin. Nous avions préparé cette mission avec minutie. L'information avait été difficile à obtenir, mais nous avions fini par obtenir ce que nous voulions en toute discrétion. Après de longues minutes de marche rapide, nous atteignîmes enfin le passage étroit qui menait à l'extérieur de la ville et projetait les eaux sales dans la rivière en contrebas. L'air devenait plus frais à mesure que nous approchions de la sortie, et l'odeur putride du cloaque laissait place à celle de la nature environnante.

Enfin nous vîmes l'entrebâillement de la sortie, où les gardes avaient été neutralisés lors de notre passage dans l'autre sens. Nous avions calculé notre opération entre les relèves de gardes, et la prochaine ne tarderait pas maintenant. Ils allaient découvrir par où nous étions passés, mais ce serait trop tard. Nous sacrifions définitivement la possibilité d'emprunter à nouveau ce chemin, mais la mission était plus importante que ces considérations. Le bruit de la rivière couvrait le bruit de nos wyrms attendant sur la rive, cachés par les arbres touffus de la berge. En quelques enjambées, ils furent à portée de vue, leurs écailles luisant sous l'éclat des lunes.

L'ancien esclave, à moitié pétrifié par la vision de nos montures une fois qu'il fut assez proches pour les distinguer, me lança un regard plein d'effroi. Les bêtes étaient à peu près grandes comme un immeuble d'un étage, et ils faisaient partie des plus petits des wyrms dressés pour nos missions. Solgar rit doucement et lui fit signe d'avancer. L'hybride le suivit avec une hésitation tangible. Les sauriens, au nombre de trois, était allongées non loin. Elles émettaient un faible vrombissement et l'une d'elles couina en nous reconnaissant. Il s'arrêta net.

« Je... je vais devoir monter là dessus ? » murmura-t-il d'une voix tremblante.

J'acquiesçai et le vit se liquéfier sous mes yeux.

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant