Chapitre 48 : le feu sous la glace

14 2 0
                                    

Arslàn

Nous atterrîmes au petit matin non loin d'Aidermena. J'avais voyagé avec beaucoup moins d'appréhension que d'habitude, Astríon me callant contre son torse, et Solgar me faisant rempart devant, alors qu'il avait lui même Kàhlar dans les bras, niché confortablement. Urío s'était installé plus loin entre deux autres écailles, ne se mêlant pas à notre groupe. Même si je n'arrivais pas moi-même à lui en vouloir complètement, je trouvais qu'il avait bien fait de garder ses distances, car ce n'était absolument pas le cas des autres. Je l'avais vu présenter des excuses à Astríon, et cela ne m'avait pas laissé de marbre. Je ne connaissais pas le frère cadet du prince, et rien ne pardonnerait le fait qu'il ait été assassiné froidement... mais le tuer en retour ne me paraissait pas être la solution. Ce monde me semblait empli du sentiment de vengeance et de conflits bien plus ouverts que sur Terre. J'espérais l'apaisement. Les morts ne reviendraient pas, et même si le deuil était lourd, il fallait avancer pour faire face à la suite du conflit : Absalón restait un atout indéniable. En emportant Kàhlar avec nous et en décidant de l'amener au Haut-Prince Shahíndar, je me doutais du conflit qui risquait d'éclater. Je n'étais pas à même de faire de la politique au vu de mes connaissances générales sur Genoë, mais il me semblait bien que nous venions de renverser les forces de pression dans cette guerre froide, donnant l'avantage à Oggon.

Je posai un pied sur le sol, soutenu par Solgar qui connaissait désormais ma capacité à me vautrer lamentablement et avec le panache du ridicule en plus. Il avait toujours été sympathique avec moi, mais cela c'était renforcé de fois en fois, la première lorsque j'étais venu le secourir, et la seconde, depuis que je m'étais porté volontaire pour aller chercher son Kàhlar, sans m'être concerté avec lui. Il n'avait pas avec moi les gestes attentionnés qu'il avait pour Shebolleh, mais je devais dire que moi qui n'avait jamais eu aucune figure paternelle à laquelle me raccrocher, cette attitude me plaisait bien. Et encore plus lorsqu'Astríon croisait son regard d'un air jaloux. Cela devait être un réflexe, car pour Solgar, il était évident qu'un seul homme comptait actuellement. Nous marchâmes sur le sol gelé du matin jusqu'au lac d'Adairmena, lui même partiellement couvert de plaques de glaces flottants à la surface. Le premier de leur soleil pointait timidement à l'horizon, caressant les eaux de ses reflets rouges. Nous traversâmes le long pont qui menait à la porte principale de la ville et les gardes du port reconnurent Solgar et Astríon, nous laissant passer sans faire de problème.

Lorsque nous entrâmes dans la demeure de Sorèn, nous fûmes tous soulagés de voir que celui-ci se trouvait déjà là, nous attendant avec appréhension et anxiété. Lorsqu'il vit Shebolleh passer la porte, il nous jeta un regard noir empreint d'inquiétude, immédiatement suivi d'un sourire discret. Il s'excusa peu après auprès de l'intéressé, s'assurant qu'il comprenne qu'il n'avait rien contre son sauvetage, au contraire. Il avait décidé de le laisser en pensant à la sécurité de tous, mais vu que rien ne s'était passé comme il l'avait prévu mais que tout le monde allait bien, tout était pour le mieux. Kàhlar hocha la tête, toujours tout en retenue. Je commençai à le connaître, et savais que c'était une manière pour lui de se protéger. Il se savait désormais otage, même si cela n'avait pas été évoqué. Je me mettais à sa place : Shahíndar pourrait à tout moment l'échanger contre autre chose et le renvoyer à Scellæon. Je ne valais pas grand chose, mais lui possédait de l'or dans les mains avec sa magie et ses connaissances pointues de la Magitek. Il était précieux et une magnifique monnaie d'échange.

La maison où nous nous trouvions était plus petite que dans mes récents souvenirs et ne comportait que quatre chambres. Il faut dire que nous étions plus nombreux aujourd'hui. Zríeg repris sa position devant le feu, insistant pour s'en charger, ce qui ne m'étonna pas. Ce lézard avait une vraie fascination pour les flammes. ... et je me rappelais mentalement qu'il devait m'apprendre à protéger mes pensées, grimaçant en le voyant jeter un regard courroucé vers moi après que j'eusse pensé le mot lézard. Il gronda dans ma direction, une légère fumée sortant de ses narines. Légèrement paniqué, j'acceptai rapidement de partager la chambre d'Astríon sans trop y réfléchir, pour ne pas avoir à rester dans la même pièce que lui trop longtemps. Maintenant que je savais qu'il était un dragon des cauchemars, ce n'était pas le moment de ne pas prendre au sérieux son air menaçant. Chacun se lava tour à tour dans l'unique salle de bain, et je me rendis compte à quel point les arcaísils n'étaient pas pudiques. Ils se baladaient dévêtus après s'être lavés sans que cela soit une gêne pour eux. J'évitais de regarder trop bas, mais cela arriva, et mon estomac se tordit alors que je me disais qu'ils devaient faire un concours du plus gros engin. Je savais qu'ils se connaissaient pour la plupart depuis longtemps, mais les voir se promener dans les couloirs nus, m'avait définitivement perdu. Zríeg, qui fut fâché longtemps et était resté menaçant avec son regard carmin, se prit d'un éclat de rire guttural alors que mon esprit vagabondait dans les méandres de la perversité de ce peuple. Je me dis que c'était de bonne guerre, et qu'il avait bien le droit de se foutre un peu de moi. Ce n'était pas lui qui avait dû composer avec la vue d'un nouveau pénis strié comme une carapace d'insecte, des boules parcourant tout l'arrière... par tous les dieux de ce monde à quoi pensais-je ! Je sentis mes joues brûler de honte alors que le dragon dissimulait son fou-rire dans une de ses manches, sans succès.

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant