Chapitre 8 : l'adjeka

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Urío

Je le regardai dans les yeux. Ceux-ci étaient ternes et fixes, empreints de fatigue. Sa jeunesse se voyait à vue de nez, avec son air innocent et son visage félin. Ses pupilles n'avaient pas encore pris leur couleur définitive et avaient une vague couleur kaki. Dans quelques jours, ils auraient déjà changé, et ils seraient magnifiques. Il n'avait pas volé sa beauté lors de son Éclosion, et il dépassait complètement les standards de la beauté hybride. Je ne voulais pas d'esclave mais je devais dire que lui était la meilleure option vu que je n'avais pas le choix. Pas seulement pour sa beauté. Il avait été capable de s'adapter à l'urgence de la situation et cela m'intéressait. Il avait l'air tellement désespéré qu'il arrivait presque à me faire m'en vouloir de penser à mal le concernant. J'espérais que nous réussirions à collaborer. Malgré sa répugnance palpable, il avait cédé à mes demandes, dans le but de survivre. Je n'étais pas aveugle, il agissait comme un animal aux abois qui feint la mort pour s'en sortir. Et j'étais prêt à lui donner sa chance. En tout cas, en théorie. Car il fallait aussi vaincre ma propre frilosité à son égard. J'avais pour lui un cadeau de valeur qui, je le souhaitais, allait nous aider et m'empêcherait d'être trop expéditif quant à son sort. J'avais sacrifié une partie de mon propre pécule pour lui et je n'aurais pas de retour sur investissement si je m'en débarrassai maintenant. C'était le moment de le lui offrir.

Je pris sa main et le ramenai contre moi en le tirant, avant bras contre avant bras. Il se posa contre mon torse, et je sentis la tension en lui. Il tremblait de peur, son corps aussi dur d'un bout de bois mais aussi fragile et vacillant qu'une feuille sous le vent. Avec mon autre main j'amorçai l'adjeka et le posai à la naissance de ses cheveux dans la nuque. Je sécurisai ma prise autour de lui en l'enserrant dans mes cuisses ce faisant. Il siffla en expirant. L'air passa de manière stridente entre ses dents. A la manière dont son torse se raidit, je sus qu'il se retenait de hurler. Je ne l'avais jamais testé moi-même, mais je savais de source sûre que l'adjeka faisait très mal lors de la pose. Ce n'était pas étonnant, vu que je perçais la moelle épinière pour le connecter à son cerveau. Il essaya de me reprendre sa main pour aller retirer le module, agitant déjà l'autre contre ma poigne qui maintenait le module de traduction qui lui faisait mal.

Je ne le laissais pas faire. L'objet fit un clac sonore et émit un bruit de mise, indiquant que la procédure d'appairage venait de commencer, et ce n'était forcement pas vraiment plaisant. L'appareil était en place mais n'était pas encore scellé. Je le retournai de force à l'aide de mon bras libre, tout en ne relâchant pas la pression de l'autre. Je le maintins dos à moi , puis le poussai pour le plaquer au sol sur le canapé bas, l'empêchant de les bouger tandis qu'il ruait contre moi. La différence de force étant flagrante, il n'arriva à rien, gesticulant comme un pantin. Positionné comme je l'étais, je sentis les spasmes qui l'agitaient soudain et je fis en sorte de lui permettre de vomir sans s'étouffer, et surtout sans compromettre la mise en service de l'adjeka. Voilà un repas non fructueux, mais il pourrait se rattraper demain matin - plutôt dans quelques heures. Enfin, le bruit de finalisation se fit entendre et je le lâchai. Il aurait des bleus, mais au moins maintenant il était capable de comprendre notre langue. L'équipement ressemblait à un bijou assez plat, mélange de métaux aux couleurs différentes, de mécanismes et circuits et de pierres magiques, et était scellé à lui à la vie à la mort. Pour l'enlever, il fallait maintenant arracher son cou, et j'étais convaincu qu'il n'allait pas faire ça.

J'appelai pour recevoir de l'aide, et ce ne fut qu'à la première aube qu'il se calma définitivement. J'étais épuisé d'avoir dû lutter contre lui en essayant de ne pas lui faire mal et sans m'énerver. L'esclave au service de Tsahín le nettoya et m'aida à sécuriser ses mouvements le temps qu'il s'habitue à l'intrusion parasite de la magie dans ses neurones.

Enfin, mon ami amena le badge d'identification de mon infortuné nouvel esclave. Dans la précipitation de la nuit, il ne l'avait pas marqué avec le sigle de sa maison, et je me retenais volontairement de le lui mentionner. C'était un geste obligatoire pour tout revendeur d'hybrides et illégal de ne pas le faire. Posséder un esclave qui n'était pas marqué me laissait entrevoir des possibilités qui me rendaient enthousiaste. J'étais quelqu'un d'impulsif mais de pragmatique, et le tatouer à la magie était une douleur de plus, et il me détestait déjà assez.

Je remerciai Attika au regard empli de fatigue après cette nuit blanche, et pris dans mes bras l'hybride épuisé et endormi pour le ramener chez moi, en empruntant cette fois encore les ruelles moins denses. Le petit matin était souvent calme. Les marchands commençaient souvent leur travail un peu plus tard, à la seconde aube. Seuls les livreurs empruntaient les grands axes de leurs chariots lourds et chargés, dirigeant leurs fyaks d'une main leste.

J'entrai dans la demeure de mon père par la grand porte. La maison dormait encore. J'allais voir le vieux majordome, qui me vit débarquer les bras chargés d'un esclave imprévu. Je lui confiai le badge et lui présentai sommairement mon nouvel esclave. Mon amitié avec Tsahín Attika était connue de la maisonnée et je mentis en lui indiquant que c'était un cadeau de sa part. J'ironisai en lui disant qu'il s'était joint à la demande de mon père qui insistait depuis des cycles et des cycles pour que j'en prenne un. Ce dernier ne redirait rien sans prendre peur que je change d'avis, l'excuse était donc toute trouvée.

Le majordome sourit et s'inclina : il m'encouragea à le traiter avec douceur le premier jour et remercia le daha de sa clairvoyance dans son choix. Il n'y avait rien à objecter, alors je lui donnai mon assentiment. J'ajoutais qu'il était possible que la Garde Princière me demande en fin de matinée, car j'avais été pris trop près du domaine Shebolleh en train de ... batifoler avec lui. Je lui fis un clin d'oeil et il prit son air paternaliste sans pour autant me sermonner. Ce vieil esclave était dans la maison depuis tellement de temps qu'il m'avait vu naître... il avait pour habitude de s'occuper de moi depuis que j'étais enfant. Je lui demandai du linge supplémentaire pour l'hybride et que des vêtements lui soient apportés dans ma chambre un peu plus tard dans la matinée. Il m'affirma aller prévenir mon père quand celui-ci serait réveillé, et c'était tout ce que je voulais.

Je montai dans mes quartiers, posai mon esclave sur mon lit encore fait de la veille, et le déshabillai. Je fis de même, puis allais chercher un tissu propre et humide dans la salle de bain attenante et le passai sur mon corps et le sien, puis nous glissai sous les draps. Sa poitrine se soulevait dans un rythme lent, et je passai ma main sur la peau à la couleur chaude de son visage dans un geste que je voulais amical. Il avait le sommeil tellement lourd qu'il ne remarqua aucune des actions que j'avais entrepris. Il était vraiment beau, les courbes de son corps harmonieux se découpant dans la pénombre.Je l'embrassai sur la tête en le tenant contre moi et m'endormi à sa suite dans un sommeil réparateur.

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant