Chapitre 18 : l'ombre du dehors

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Urío

Je regardais mon esclave boire le Vaisseau des Dieux. Aux premières notes fredonnées par le Haut-Prêtre, son corps s'affaissa et l'homme de foi le réceptionna, le tourna, déplia ses genoux en le tirant en arrière, allongeant son dos sur ses avant bras, sa tête reposant sur sa clavicule. Il avait l'habitude de gérer cette situation semblait-il, malgré son rang clérical élevé. Je m'étais renseigné sur le processus et mes camarades de combat m'avaient assuré qu'il y en avait pour très peu de temps. Les hybrides recevaient rarement leur prénom des dieux, et le prêtre les nommait avant de les inscrire sur le registre du temple. J'avais bien entendu omis de leur dire que mon esclave n'avait pas été marqué du sceau de la maison de Tsahín, et surtout comment je l'avais obtenu.

J'avais rendez-vous plus tard avec les membres de mon escouade, dans un bordel du quartier des plaisirs. J'avais élaboré un plan où je laisserais le jeune hybride dans un des bars de l'établissement, en compagnie de deux autres esclaves appartenant à mes camarades. Ils attendaient régulièrement à nos réunions et on pouvait leur faire confiance. J'avais hâte que cela se termine. Il me revint à l'esprit cet épisode que le petit m'avait rapporté : puisque qu'il avait été béni par l'arrivée du Volage luminescent, manifestation magique et guide spirituel en forme d'insecte volant, qu'allait-il réellement se passer ?

Je soufflais longuement l'air de mes poumons , en proie à l'ennui de l'inactivité et l'effet soporifique et hypnotique du chant clérical. Je tentais de régulier mon souffle pour canaliser ma nervosité et mon humeur négative face à la perte de temps qu'était cette cérémonie. Je n'étais pas mécontent de quitter l'air étouffant de mon foyer, mais j'aurais préféré faire autre chose. Le temps s'écoula avec lenteur et à mon grand désarroi, ce qui m'avait été annoncé comme rapide finit par durer une heure. Soudain, mon esclave se cambra dans les bras du Haut-Prêtre, en proie à une agitation anormale. Ses yeux s'ouvrirent et se révulsèrent, tandis qu'un hurlement de terreur sortait de sa bouche déformée. Son cri sordide résonna contre les murs, et le peu de prêtres présents fut rapidement autour de nous en réponse à cet événement inhabituel. Alors qu'il se contorsionnait de douleur, l'homme de foi eu du mal à se maintenir. Il l'empêcha de se débattre, mais dû arrêter son chant. Aussitôt, les prêtres présents reprirent la prière, chorale lugubre au soliste torturé par des forces invisibles.

Je voulais demander ce qu'il se passait, mais au vue de la lutte du Haut-Prêtre pour maintenir le baptisé dans un environnement sûr, je gardais mes questions pour plus tard. Bon sang, c'en était déchirant ... même moi habitué à tuer, je n'avais jamais assisté à un beuglement aussi sinistre. Des larmes de douleur coulaient par torrents de ses yeux vitreux. Soudainement, sa torture cessa, et il agrippa la robe du Haut-Prêtre dans un gémissement sourd. Les prêtres s'arrêtèrent immédiatement de chanter pour respecter le silence exigé à la fin du baptême. Tel un enfant ayant retrouvé son père, il blottit son visage dans le tissu couleur jade. Je vis ses lèvres bouger et n'entendis rien à part les larmoiements et les gémissements qui suivirent.

Nous restâmes tous là à l'écouter pleurer, incapables de bouger ou parler. Il fallut un long moment avant qu'il ne se calme, le visage blême et ses yeux vert-de-gris encore noyé de larmes. Le Haut-Prêtre, qui l'avait jusque là serré dans ses bras pour le consoler,  le regarda avec confiance et prononça distinctement de sa voix sonore :

« -Arslán... »

La voix tremblante et rauque, mon esclave affirma, comme il m'avait dit avoir appris à le faire :

« Je suis Arslán, nommé par les dieux pour fouler cette terre sous leur bénédiction »

Le religieux lui baisa le front, et ce fut fini. J'aurais pensé qu'il aurait eu du mal à tenir debout après tant de bouleversements, mais il se releva avec lenteur et sans à-coup, me gratifiant d'un faible sourire. Je lui tapotais le dos pour lui signifier ma satisfaction, puis nous bavardâmes encore un peu avec les prêtres tandis que leur supérieur notait le prénom d'Arslán dans le livre des naissances des hybrides. L'intéressé était plutôt silencieux par rapport à son habitude. Je vis ses mains trembloter encore un peu alors qu'il reprenait graduellement sa contenance. Je fus édifié d'apprendre que c'était la première fois que les prêtres avaient assisté à un baptême aussi mouvementé. Ils plaisantèrent sur le fait que ce serait peut-être la dernière fois qu'il en serait organisé un lors d'une nuit aussi obscure, et je riais avec eux. Ils avaient ressenti pas mal d'appréhension, soulagés que tout finisse bien.

Arslàn, sans pour autant participer activement à la conversation, souriait à leurs remarques. Il était encore pâle. Son regard brillait d'une intensité que je ne lui connaissais pas, et ça le rendait encore plus magnifique. Je m'en voulais désormais d'avoir demandé à ce que la réunion se tienne juste après. Il méritait de se reposer. Cependant, je n'avais plus le choix maintenant.

Nous prîmes congés auprès des religieux et nous dirigeâmes vers la sortie. Malgré mon inquiétude, je lui demandais avec légèreté :

« Ca va, ton prénom te plaît ? »

Je ne pensais pas que la qualité de futur patronyme avait la moindre importance pour moi. J'espérais apaiser la culpabilité que je ressentais de l'emmener dans un lieu de débauche à la place d'un lieu de repos en recevant une réponse positive. Il hocha de la tête de haut en bas, geste purement Terrien qui voulait dire oui. J'avais beau lui avoir expliqué que cela n'avait pas la même signification pour les Genoëens, il semblait l'avoir sur le coup. Je le taquinais en lui déclarant :

« Je suppose que ça veut dire oui? »

Il répliqua à la positive, visiblement gêné par son oubli, alors que nous franchissions l'imposante porte du Temple. Je congédiais le garde de mon Père qui nous attendait dehors, frigorifié. Je lui indiquais que je comptais passer une partie de la soirée au Quartier des Plaisirs avec mon esclave pour fêter l'évènement. Il n'en sembla pas heureux de désobéir aux ordres de Luocha qui étaient de nous accompagner, mais je n'étais pas là pour le contenter. Il me tendit nos lanternes et me souhaita une bonne soirée. Je lui donnais de de mon plein gré l'adresse où j'allais me trouver pour qu'il la communique à mon père. Il ne lui venait jamais à l'esprit de vérifier mon alibi - j'étais adulte après tout - mais je connaissais son défaut de tout vouloir maîtriser. J'avais hérité de lui sur ce point, et je ne pouvais l'en blâmer sans me fustiger moi-même.

Il faisait déjà moins sombre qu'il y a une heure, et nous fîmes quelques pas avant que je ne me décide à scruter les cieux, soulagé d'apercevoir le le garde  qui s'éloignait. J'aperçus les deux lunes qui se superposaient, un peu plus haut que l'horizon, au ras de deux immeubles, comme posées dans un écrin. Je les désignai du doigt pour qu'Arslàn les voient. La plus petite, Moone, de couleur rose pâle et la moins lumineuse, était presque au centre de Perse, la plus grande, de couleur platine.

Il s'extasia. Moi même j'avais du mal à ne pas trouver ce spectacle sublime et fascinant . La fraîcheur du soir me fit frissonner, et je resserrai la cape qu'Arslàn portais autour de ses épaules, la drapant autour de son cou pour lui en faire une écharpe. La rue était silencieuse, les gens ayant préféré ne pas sortir par une nuit aussi sombre. Nous restâmes de longues minutes à observer le spectacle, mon regard oscillant entre lui et les lunes, satisfait de voir un franc sourire sur son visage.

Je m'apprêtais à exposer la suite de la soirée à Arslàn, quand mon instinct prit le dessus, m'ordonna de sortir mon arme sans raison apparente et je me retournais avec vivacité, parant un coup de lame que j'avais failli ne pas voir venir, dans un fracas de métal entrechoqué.

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant