Chapitre 6 : le marchand d'esclave

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Urío

Je suivis Tsahín jusqu'à son bureau, qui ressemblait plus à un petit salon, au vu de sa taille. Il me fit prendre place dans un des deux divans de sol qui se faisaient face, séparés par une table basse où trônaient des documents épars et des plantes séchées à fumer. Il ne semblait pas vouloir les cacher de ma vue, ce qui signifiait que nous allions partir ce soir sur une relation de confiance.

Tsahín affichait une moue mi-boudeuse mi-sourire en me toisant. Ses lèvres ne m'interrogèrent pas, mais ses yeux le faisaient à sa place. Je m'installai confortablement, sans paraître stressé. Pourtant, mon avenir était certainement lié à sa capacité de m'aider ce soir.

« Daha Tsahín, quand as-tu reçu tes derniers esclaves? Tu m'avais dit acheter une partie de l'éclosion du Maistre Shebolleh en tant que revendeur, et cela régulièrement. Quand-est ce que ça a été le cas dernièrement ? »

Il me toisa. J'avais donné le ton de la discussion et il savait déjà ce que j'allais lui demander, j'en étais certain. Cet homme était malin, et je n'en attendais pas moins d'un marchand talentueux comme lui. De surcroît, Tsahín avait d'autres qualités, ce qui m'avait amené à lui rendre service ces dernières années sans contrepartie. Il m'avait toujours assuré m'être redevable, et je savais que chez lui, ces mots n'étaient pas prononcés à la légère. Mais allait-il accepter de se mouiller pour honorer sa parole ?

-« J'ai acheté un lot il y a de cela un demi-cycle. C'était les derniers éveillés et il étaient dressés depuis leur Éclosion dans le domaine Shebolleh, comme d'accoutumée. C'était des esclaves de seconde main, récalcitrants et tout juste bon à servir aux cuisines. Je les ai eu à bas prix et je les ai vendu sur le marché ... plus qu'honorablement. »

Son sourire indiquait que le bénéfice avait été notable. Je l'encourageai dans son récit en lui demandant plus de détails. Il m'indiqua que plusieurs étaient de constitution faible, et avaient mal toléré l'Éclosion. Cela ne les avait pas empêché d'être d'une grande beauté et d'avoir plu à quelques maisons closes à bas prix, ce qui n'était pas usuellement le genre de travail proposé à cette classe d'individus. Comme il n'y avait pas d'interdit, les acheteurs avaient le droit de changer cette recommandation s'ils le souhaitaient. Tsahín inhala une bouffée  de sa pipe, emplissant la pièce de brume bleue. Je pris soin d'avoir attendu cette pause dans la conversation pour lui adresser ma requête:

-« Et me vendrais-tu le dernier de ton lot ? »

Je lui adressai un clin d'oeil, et son sourire s'élargit encore. Il ne se laissa pas démonter, suivant parfaitement ma pensée.

-« Combien m'en donneriez-vous Sehikh Absalón ? Je me l'étais gardé pour mon service, mais il n'a pu échapper à votre regard sa grande beauté et son état ... sauvage. »

Je devais dire que cet évadé était en effet très beau avec ses yeux verts, sa peau légèrement mauve-grisée et ses boucles encore brunes sur les longueurs. Si je devais contrevenir à ma propre règle de ne pas prendre de serviteur personnel, c'était une intéressante façon de la briser. J'utilisai en général les serviteurs de mon père et ma liberté me convenait parfaitement. Pas d'esclave dans mes quartiers voulait dire personne pour voir ou surveiller mes allers et venues par la fenêtre en arrière cour. Soit ! Ces pensées ne menaient à rien. Je n'avais pas le choix, demain matin, ce gamin devait être dans mon lit quand la milice frapperait à la porte de mon père.

-« Je t'en donnerai le prix de sa valeur mais aussi un supplément pour bien avoir voulu me le céder avec des papiers officiels. »

Tsahín inspira longuement dans sa pipe. Il me demanda ensuite avec beaucoup de sérieux si je savais à quoi je m'engageais avec un esclave de ce type. Le sous-entendu était clair, et je lui répondais par l'affirmative.

-« Tu m'honores par ta sollicitude. Si cela te chagrine, ajoute une clause indiquant que cette vente se fait en connaissance de cause et que je ne saurais te reprocher quoi que ce soit dans le futur. »

Il eu un rire gras et une quinte de toux :

« Pas de ça entre nous, je vous ai dit être redevable et vous m'avez rendu plus d'une fois service en rattrapant un esclave en fuite, ou en m'aidant pour des taches ingrates. Je me souviens encore de cette première fois où nous nous sommes rencontrés, lors d'un trajet que je faisais avec ma garde et un convoi : vous avez été le seul à réagir alors que vous n'étiez qu'un passant, mes hommes n'arrivaient pas à se coordonner, essayant de rattraper à la fois ceux qui fuyaient et de garder ceux qui ne le faisaient pas ... un vrai capharnaüm ! Maudite corde, qui a cédé au mauvais moment, les libérant en pleine rue ! Je me suis toujours dit que le jour où je le pourrais, je trouverai un moyen de vous dédommager. Si c'est cet esclave que vous voulez, peu m'importe, vous aurez des papiers officiels pour son achat dans quelques jours! »

Je grignai. Sa réponse ne me satisfaisait qu'à moitié. Je pris une grande inspiration, ce qui lui fit lever un sourcil, conscient que quelque chose n'allait pas. Jusque là affaissé dans les fauteuils de manière alanguie, il se redressa pour se concentrer sur notre conversation. J'affirmai alors :

« Non, dans une heure. Et datés du jour où vous me l'avez vendu, il y a de cela un demi cycle ... nous avons toujours eu de très bonnes relations et je vous avais accordé un retard, mais désormais j'en ai un besoin ... pressant. »

Ses yeux dorés en fentes s'arrondirent, mais il reprit rapidement sa contenance. Il ne devait pas s'attendre à une telle demande de ma part, moi qui étais toujours raisonnable. J'avais conscience d'outrepasser les convenances marchandes. Mais nous étions un peu plus que dans une relation mercantile, puisque nous étions désormais amis. Cependant, il était absurde de ne pas lui proposer une contrepartie en échange de ce service. Je lui fis comprendre que je le paierais en conséquence. Il refusa l'augmentation et me déclara être en mesure d'avoir les papiers avant le lever du premier astre de jour.

Nous discutâmes encore un moment de quelques anecdotes en commun, puis il se leva, m'invita à patienter le temps qu'il obtienne mon dû. Il me demanda si je voulais qu'il j'aille faire chercher ma nouvelle acquisition, le temps de son absence. J'opinai de la tête, après avoir avalé le verre qu'il m'avait fait servir. J'avais à peine eu le temps de le voir, et maintenant qu'il était propre et vêtu, arriverais-je à faire bonne figure et accepter cette alliance que j'avais moi-même forgée par obligation ? Ou valait-il mieux m'en débarrasser sous des prétextes fallacieux dans quelques jours ? Mon père ne me laisserait pas faire, lui qui insistait pour que je prenne un esclave. Oui, c'était un problème supplémentaire qu'il allait me falloir résoudre. Si je ne m'habituai pas rapidement à sa présence ou s'il devenait une nuisance pour moi, il allait falloir que je trouve un moyen impérieux de m'en séparer. Ou faire croire à un accident. Peut-être que si je lui laissais assez de liberté, il essayerait de s'enfuir ? C'était un motif valable pour l'abattre, selon les lois de la Principauté de Scellæon. Et il connaissait beaucoup trop de mes secrets pour rester en vie, s'il n'était pas sous ma supervision...

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant