Chapitre 14 : apaisement

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Urío

Je passais le repas à ressasser ce qui s'était passé. Mon père se moqua gentiment de moi en me taquinant sur le fait qu'un nouvel esclave était très prenant. Il avait assorti sa boutade d'un clin d'oeil, et j'acquiesçai. C'était bien mon esclave qui me préoccupait, même si ce n'était clairement pas les raisons auxquelles il pensait qui occupaient mon esprit.

J'étais entré dans la boutique en espérant, ou peut-être en n'espérant pas qu'il tente de s'enfuir. Il avait alors ce regard perdu qu'on tous les anciens Terriens, et cela même de longues années après leur arrivée sur Genoë. J'en avais vu, des hommes perdus, depuis que j'aidais Tsahín. Ils se sentaient tellement désespérés que s'enfuir était pour eux nécessaire, même s'ils n'avaient au final nulle part ou aller. Les côtoyer lors de ces moments désagréables avait fini par m'ôter la moindre attraction pour eux. Je les voyais comme des victimes et des enquiquineurs ecervelés, ce qui ne m'aidait pas. Du coup, je n'étais toujours pas décidé si je voulais qu'il me prouve qu'il n'était rien de plus qu'un simple esclave en réagissant comme eux, ou si je souhaitais qu'il me montre sa singularité en étant différent. Ce qui me froissait le plus  après être sorti avec mon arme officielle aiguisée par le marchand, c'était son regard, que j'avais capté après avoir salué l'armurier. Le brouillard dans ses yeux s'était levé, et j'y lisais l'incrédulité et un quelque chose qui donnait l'impression qu'il avait croisé son destin. Alors que les esclaves restaient longtemps perdu, cela ne semblait plus être son cas. Même en se levant du banc où je l'avais laissé et en marchant à ma suite jusqu'à la maison familiale, il n'avait plus eu besoin d'aide, comme s'il avait retrouvé des forces. Et il n'avait pas eu ce regain d'énergie dans le temple : Le changement avait été soudain et à ce moment là.

Même son attitude était légèrement différente depuis. Pas de manière ostentatoire, non. Mais il m'avait confronté vigoureusement, lui qui était d'accord pour subir ce que je lui imposais jusque là. Que c'était-il passé ?

Je regagnai tardivement ma chambre pour le trouver endormi dans mes draps, comme je lui avais ordonné. Au moins il tenait parole. Pas que je lui en ai laissé le choix ... depuis quand étais-je assez aux abois pour terroriser un gamin tout juste éclos en le menaçant ? Je devais m'adoucir un peu, pour notre bien commun. Je décidais que ce soir serait un coup dans l'eau et que nous ne jouerions pas les amants épris pour contenter les oreilles lubriques de mon père. Il avait besoin de sommeil et moi j'avais besoin d'apaisement. Je m'endormais à ses côtés comme une souche, épuisé émotionnellement comme jamais je ne l'avais été dans ma vie.

*****

Les jours qui suivirent, je l'emmenais chaque matin au temple pour y suivre l'enseignement du Haut-Prêtre. J'avais pensé qu'il aurait délégué cette tâche à un de ses subalternes moins élevé hiérarchiquement, mais mon instinct semblait me faire défaut dernièrement car rien ne se passait comme je l'imaginais. J'étais habituellement très instinctif, capable de prévoir les actions des gens avant qu'elles ne se produisent. Cependant, tout ce qui attrayait à mon esclave défrayait ma logique. Bien qu'il eut retrouvé sa contenance et sa jovialité habituelles, son regard n'avait plus changé. Il restait clair et déterminé. Je n'étais même pas sûr qu'il s'en rendait compte lui même. J'avais essayé de savoir ce qu'il en était en le questionnant par des biais détournés, mais il me répondait toujours avec franchise et honnêteté. Il s'était vraisemblablement rien passé dans la rue. Même si un passant s'était permis de se mettre quelques instants à ses côtés, qu'est ce que cela aurait changé pour lui ? Nous étions à Abyssia, en pleine capitale, dont les rues étaient gardées. Je n'arrivais pas à imaginer un scénario plausible.

Je continuais donc à m'occuper de ses aller-retours au Temple, en profitant pour faire des réunions régulières avec les gens du cercle des Premiers Assassins. Je le laissais dans ma chambre l'après-midi, lui ordonnant de dormir et reprendre des forces, pendant que je partais par la fenêtre pour m'entrainer, comme à mon habitude.

Sa présence dans mes quartiers éloignait les curieux, ne voulant pas déranger nos ébats supposés, ce qui m'arrangeait. La nuit, même s'il était réticent, je lui faisais jouer la comédie du couple qui prenait du plaisir. Vu que nous dormions nu, au grand dam de ce petit effronté au corps lascif, je me permettais de le toucher, caressant son dos ou ses jambes après avoir obtenu son consentement. Il me refusa ses baisers, ainsi que l'accès à ses parties intimes, et cela me semblait raisonnable vu qu'il n'avait jamais été dressé et qu'il avait tout à apprendre.

Je lui avais demandé s'il acceptait de le faire parce qu'il avait peur de mourir. Il m'avait avoué que cela lui traversait l'esprit à chaque fois. Je lui promis solennellement de ne pas le tuer pour un refus et lui expliquait la biologie hormonale des Genoëens. Nous étions un peuple très porté sur le plaisir de la chair et la jouissance et nos hormones nous poussaient à avoir des rapports sexuels fréquents. Je l'informais que moi aussi j'avais ces inclinaisons, mais que je trouvais aisément des partenaires lors de certains entrainements. Ce que nous faisions la nuit était simple et agréable et lui apprenait à gérer les sensations de son corps. Je l'informais

qes gens que je côtoyais étaient autant des partenaires de travail que des amants si l'envie nous prenait. Il n' échapperait pas lui non plus à cette envie charnelle, le temps que son corps finisse d'assimiler tous les changements génétiques qu'il avait eu depuis son arrivée dans notre monde.

Il ne semblait pas content de la nouvelle, mais laissait cependant mes doigts errer sur son corps magnifique. Moi qui n'avais jamais été attiré par ces hybrides, je devais convenir que celui-ci était particulièrement plaisant. Je défaisais les noeuds des muscles de ses épaules en lui apprenant précautionneusement à se laisser aller au plaisir. Sa peau était douce, et lui aussi finit par se détendre légèrement.

Il avait par la suite souhaité apprendre comment me masser les muscles, et ce fut un heureux hasard quand mon Père pénétra dans ma chambre sans avoir été annoncé alors qu'il avait ses mains sur moi, tous les deux dénudés. Bien que cela gêna mon hybride, il ne dit rien et continua à jouer le jeu pendant que mon paternel me demandait mon avis sur une décision qu'il devait prendre lors d'un futur conseil. Je su qu'il était ravi de ce qu'il avait vu, et moi je l'étais aussi, car l'accord passé avec le petit fonctionnait.

Il n'était pas simple d'apprendre à un ancien humain comment accepter le désir qui montait en son corps. Lorsque son sexe devenait dur, il avait la manie de se cacher avec les mains, arrêtant tout ce qu'il était en train de faire. Il me fallut beaucoup de persuasion pour lui faire comprendre que, qu'il le cache ou non, je savais l'effet que je lui faisais. Et que je n'abuserais pas plus de ma position, qu'il le montre ou non. Je revenais habituellement de mes entraînements contenté sexuellement, je n'avais pas de raison de craquer.

Il m'était cependant impossible de passer la barrière de ses phobies, et le toucher au niveau des parties intimes était un refus systématique, malgré le fait que je le lui demandais régulièrement. Bien qu'il progressa, la frustration qu'il me faisait endurer le rendait de plus en plus désirable. Je ne pouvais pas lui reprocher de ne pas m'aider à donner le change devant la maisonnée, et, alors qu'il regagnait progressivement des forces, il obtenait chaque jour plus de savoir sur nos manières, nos coutumes et la religion. La seule chose qui ne changea pas fut son regard affirmé. Pourtant le mystère de ses pupilles resta clos, me laissant incapable de comprendre ce qu'il s'était passé.

Mon plan initial qui consistait à le laisser commettre une erreur irréparable laissa place à une cohabitation agréable et à une envie de le garder définitivement auprès de moi, même s'il n'occupait pas la place qu'un esclave aurait dû avoir. Je refusais son aide lors des tâches quotidiennes, préférant qu'il s'instruise, fasse des exercices physiques ou passe du temps devant le miroir à apprivoiser son nouveau corps. Il arrivait désormais à se regarder sans crainte. C'était pour moi source de fierté. Qui aurait cru qu'avoir de la compagnie, alors que je n'en voulais pas, pouvait me faire autant de bien ?

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant