Chapitre 11 : sous le feuillage

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Je suivis l'homme vêtu d'une longue robe vert forêt brodée d'argent. Le tissu effleurait le sol, bruissant à chacun de ses pas. Malgré l'ampleur de son vêtement, il avançait lentement, comme si son corps ne pouvait se hâter davantage. Il tournait fréquemment la tête dans ma direction, comme pour s'assurer que je n'avais pas l'intention de rebrousser chemin.

Nous franchîmes le long porche qui s'enfonçait au cœur du temple. Au-delà, un tunnel s'étirait, ses murs sculptés de motifs alambiqués. Profitant de la lenteur de l'homme, je m'attardai sur chaque détail, laissant mes yeux parcourir les gravures. Une lumière émanant de l'autre extrémité gagnait peu à peu en intensité, baignant le couloir d'un éclat irréel.

Nous arrivâmes dans une immense serre où un arbre gigantesque poussait en son centre. Un enchevêtrement de métal et de verre à peine perceptible emplissait partiellement le dôme. Les branches, faites de bois noir et de feuilles sombres aux reflets vert-bleutés, en dépassaient le sommet, semblant vouloir embrasser le ciel. Des raies lumineuses filtraient à travers le feuillage, illuminant la vaste salle cylindrique. Tout autour, un passage couvert bordé de portes formait une galerie.

Je me demandai s'il pleuvait en ce lieu, tant la voûte protectrice de l'arbre préservait les fidèles des caprices du climat et de ses intempéries.

Je levai la tête, bouche bée, observant le géant aux feuilles sombres, mélange de vert foncé, gris, ambre. Le ciel était à peine visible. Sur les branches les plus basses, de gros cylindres en forme de jarre se balançaient, certains entourés par des habitants de ce monde. Toujours par deux, souriants et entourant les cocons d'affection ou priant devant eux, ils offraient un spectacle à la fois touchant et dérangeant.

Je me dirigeai lentement vers cet immense arbre, suivi de mon hôte. J'étais désireux d'observer ce titan nourricier à la ramure majestueuse et intimidante.

Je repensai à la conversation que je venais d'avoir avec Absalón, et soupirais. J'étais incapable de savoir si j'allais m'habituer à l'idée que les enfants ici poussaient dans des chrysalides comme des papillons ou des coques comme les marrons, avec option foi envers les dieux et fornication obligatoire. Comment pouvait-on prier autour d'un ruban accroché à un arbre et avoir un enfant ? Qu'est ce qui m'échappait ?

Je baissais enfin mon regard et croisais celui du prêtre qui me regardait avec patience et amusement. Je décidais de garder le silence. J'avais beau être complètement chamboulé, c'était un lieu de culte, et le silence régnait. Je n'obtiendrais rien à vouloir m'acharner en posant de mauvaises questions, par ignorance crasse. Je ne savais pas par quel miracle j'avais survécu, mais si ce n'était pas un hasard, c'était à un de ces dieux hypothétiques que j'étais redevable. Je remerciai silencieusement le destin ou peu importe son nom, quand une sorte de papillon luminescent pris forme à ma droite, semblant être apparu non loin d'une des feuilles basses proches de moi.

Le religieux eut un moment de recul et s'inclina, le regard dirigé vers le sol. Je ne savais pas comment me comporter, alors que l'insecte de lumière me tournait autour. Il finit par se poser sur ma tête et je le perdais de vue. Je n'osais plus bouger, respirant doucement. J'ouvrais la bouche pour la première fois depuis mon arrivée dans la serre :

« Où est-il ? Est-ce que je peux bouger ? »

J'inclinai précautionneusement le crâne pour en montrer le sommet. Le prêtre se redressa et m'indiqua qu'il n'était plus là. Un sourire mystérieux habitait ses lèvres, et moi j'étais complètement et définitivement perplexe.

Mon hôte me prit amicalement par le bras, me montrant par un mouvement de tête une porte de l'autre côté. J'avais tellement de mal à me mouvoir par moi même que cela me soulagea. Il m'amena vers une petite pièce bordant le long de la serre, après avoir traversé en diagonale le passage couvert. De nombreuses petites statues sculptées y étaient posées au sol couvert de tapis et de coussins. Il prit place et je me vautrais face à lui, toujours aussi veule.

Le prêtre me fit un discours sur le baptême. Il m'indiqua deux procédures : soit il me baptisait immédiatement comme il le faisait avec tous les anciens humains comme moi, soit ... soit j'acceptais de venir prier chaque jour jusqu'au changement de cycle. Celui-ci était d'importance, car les lunes étaient alignées et au ras de l'axe de Genoë, ce qui arrivait rarement. La dernière fois, c'était il y a quelques années, et un baptême ce jour était symbolique. A la foi symbole de chance et d'infortune, la lumière de nuit y serait très faible. C'était pour les Génoëens un signe des dieux, et se faire baptiser à la tombée de la nuit était iconique.

Il me le proposa du bout des lèvres, et je voyais à sa mine sévère qu'il était sûr que j'allais refuser. Moi j'étais intrigué et lui demandai : pourquoi me proposer cela ? Il mima le papillon de sa main. Vraiment ? Pour lui c'était un signe ? Qu'à cela ne tienne, j'étais avide de savoir, désireux de comprendre.

Je lui répondis positivement, à sa grande surprise. Je m'enquerrai de ma participation et des desiderata autour de mon engagement. Il m'informa que l'on m'apprendrait comment prier mais la foi était mienne. Simplement essayer était considéré comme suffisant pour quelqu'un de mon origine.

Il me fit cependant promettre de ne pas utiliser de prénom avant de recevoir le mien. Encore un qui me disait cela ! Cela semblait vraiment être un tabou sur cette planète ! Je repensais au massacre auquel j'avais assisté et décrétais que mon prénom ne valait pas ma mort. Je lui jurai ne pas le faire, en espérant secrètement ne pas recevoir en baptême un nom stupide et ridicule.

Il m'apprit le nom des dieux de ce monde, au nombre de sept, et j'essayai de m'en souvenir sans y parvenir complètement. Ils étaient maitres de symboles et d'évènements magiques et célestes. L'un régnait sur le jour, l'art de la guerre et la maitrise des armes, l'autre était la lumière vive de la seconde lune et la droiture, le troisième était la terreur mais aussi la protection. Le quatrième semblait être un sacré coquin, prié par les prostitués, mais aussi dieu de la fertilité de l'arbre. Forcement quand on parle de petite graine, autant tout rassembler... mon ironie me fit manquer le rôle du cinquième mais je repris de fil de son explication en retenant que le sixième se nommait Vezhran, le seigneur des Ailes, de la folie, de la musique, et de la danse. « Programme sympathique », pensais-je. Le dernier de ce panthéon était le patron de la beauté, la ruse et l'apparence, offrant à ses mignons l'accès à une magie puissante et changeante. Il était représenté dans ce temple, car tout lieu protégeant un arbre aussi grand permettait la prière de toutes les fois. Cependant, il était plus que mal vu de le prier dans cette Principauté, et ses suivants bannis des terres du Haut-Prince.

Donc ici aussi, les gens se battaient au nom des religions ? Pourtant il n'y avait qu'un seul culte de ce que je comprenais, et seules sept divinités étaient priées sur toute la planète. J'avais beaucoup à apprendre et pas mal de subtilités m'échappaient. Je souhaitais pouvoir en assimiler plus avec le temps.

La discussion dura suffisamment longtemps pour que la lumière décline dans le ciel, et l'homme s'excusa auprès de moi pour pouvoir participer très prochainement à la prière du soir. Je me retrouvais seul dans cette petite pièce. Personne ne devait avoir peur que je me sauve bon sang ! L'idée me traversa l'esprit, mais je me raisonnais et attendais patiemment qu'Absalón vienne me chercher.

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant