Chapitre 26 : spleen

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Astrìon

Je me tenais là, près de la fenêtre de plein pied entrouverte, regardant la pluie tomber en fine cascade sur les pierres du jardin. Les vitres qui habillaient les carreaux serrés de bois étaient plein de buée, j'avais donc décidé d'ouvrir. La vue sur ce petit parc était faiblement éclairé par les lampions colorés de la rue plus loin. Les gouttes s'écrasaient doucement contre le bois du corridor extérieur, créant une symphonie apaisante. Une lueur doucereuse  filtrait à travers le panneau de papier de riz occultant qui était posé derrière la fenêtre, projetant de faibles ombres dansantes et colorées sur le sol de notre chambre. Moone devait être levée derrière l'écran de nuages chargés de précipitations, et je regrettais de ne pouvoir observer les lunes pour occuper mon esprit.

Derrière moi, je pouvais voir la respiration régulière d'Arslàn, paisible, profondément endormi dans notre lit. Sa poitrine se soulevait à un rythme régulier et dénotait un sommeil profond. Il avait réussi à s'endormir malgré sa crainte de ma présence alors que j'étais éveillé, et cela malgré le fait j'avais promis de ne pas le toucher sans son consentement. Il semblait douter de mes résolutions. Je me tournai légèrement, mon regard se posant sur lui, attiré comme par un aimant. Ses cheveux étaient éparpillés sur l'oreiller, son visage détendu, presque enfantin dans le sommeil. Une vague de désir m'envahit, un contraste poignant avec la mélancolie que m'apportait la pluie qui tombait sans relâche depuis deux nuits maintenant.

Je me forçais à me tourner à nouveau vers la fenêtre, cherchant à apaiser mes pensées. La bruine du premier jour était devenue torrentielle. Nous étions censés partir demain, et le temps ne faisait que se dégrader. La brume se levait, et créait avec l'eau pluviale et la végétation dense du jardin de l'auberge une scène fantasmagorique. Les bâtiments adjacents, bien que plongés dans la pénombre, donnaient l'impression que nous étions surveillés par des gardiens anciens et mystiques. Quelques rares employés de l'auberge se déplaçaient dehors avec des lanternes suspendues à l'intérieur de parapluies, créant des halos fantomatiques. La scène nocturne semblait irréelle, comme si des fantômes et monstres oniriques allaient surgir. Je me demandais si une créature antique foulait les pavés de la ville. Jamais Klaíssidi n'avait eu à ma connaissance une aura aussi glauque voire cauchemardesque. Je frissonnais, embourbé dans ce sentiment désagréable auquel je ne trouvais pas d'issue. L'eau ruisselante du toit et clapotis dans les rigoles en bas de l'auberge me plongèrent dans une introspection encore plus profonde. Je pensais à tout ce que j'avais réalisés ces derniers jours, et cette nuit de simple repos en sachant Arslàn à mes côtés aurait dû suffire à me sentir heureux. Je l'étais en quelque sorte, mais un pressentiment me gâchait les réjouissances. Pourtant, je n'avais pas aussi bien dormi que ces deux dernières nuits, malgré le fait que je devais contenir mes pulsions qui me poussaient à vouloir le toucher et l'embrasser.

Avec un soupir, je quittai doucement ma position, détendant mes jambes engourdies. Je pris le temps de me lever, veillant à ne pas faire de bruit en me déplaçant pour ne pas le réveiller. Je sortis de la chambre, laissant la porte coulissante se refermer en silence derrière moi.

Je marchai lentement dans le couloir, les paravents ornés de motifs floraux offrant plus de sérénité à l'endroit que l'étrange ambiance extérieure. Les lumières suspendues émettaient une lumière tamisée et chaude, me réchauffant l'âme. Je n'étais pas dans mon état normal, à la fois serein et anxieux. Le contraste me semblait impossible, pourtant, c'était ma réalité. Le parquet craqua légèrement sous mes pas, alors que j'arrivai devant la porte de Solgar. Je me fis la réflexion que pour en arriver à faire du bruit, je devais être réellement perturbé.

Je frappai doucement sur le bois et attendis. La voix basse et familière du géant répondit : "Vous pouvez entrer." J'ouvris la porte et trouvai Sólgar et Sorèn déjà réunis, leurs visages marqués par l'inquiétude. Ils se levèrent en me voyant entrer.

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant