Chapitre 3 : l'échappée

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J'étais fourbu, j'étais certainement pas loin de la déshydration et je mourais de soif. Le pire était, je pense, que j'étais au bord de la folie. Je n'étais pas mort, mais je faisais une crise cardiaque au moindre bruit suspect, mon coeur sursautant dans ma poitrine comme s'il voulait se faire la malle sans moi. Sauf qu'on devait partir tous les deux. Finalement, ce n'était pas Vampire Diaries dans lequel j'avais atterri, mais un remix entre Le Seigneur des Anneaux, Dune et Star Wars. Mes lectures me revinrent en mémoire, et je constatai amèrement que j'étais en quelque sorte entré dans l'un d'entre eux. J'aurais aimé pouvoir me leurrer et me dire que c'était un rêve... enfin, si je n'avais pas eu aussi mal cela aurait pu être vrai. Je savais de source sûre qu'en rêve, ce genre de petites folies douloureuses n'existait pas. Normalement la douleur tirait quiconque la ressentait du sommeil et je ne me réveillai pas.

Il fallait donc continuer à avancer, en insistant sur le fait que tout ceci était réel. Je n'avais pas tellement le choix. Je continuai le chemin que j'avais emprunté et que j'espérai être le bon, trébuchant souvent, mes jambes flageolantes peinant à me porter. Je croisais tout du long les corps sans vie de nombreux Elfes Gris. Elfes-Vampires gris. Il fallait bien les nommer d'une façon ou d'une autre, et ce n'étaient pas des Terriens. Il y avait énormément de points communs entre les humains et ces elfes, quoi qu'il en soit. C'était donc sûrement des humains, en quelque sorte. Ces humanoïdes avaient deux jambes, deux bras, des mains à cinq doigts et deux yeux... avec ça honnêtement, la théorie sur les Extra-Terrestres de Roswell était fichue. Certes ils avaient de grands yeux à l'iris scintillant et à la pupille non délimitée à l'intérieur, une sclère grise et des oreilles pointues, mais ils en avaient seulement deux, pas trois ou plus.

Mes pensées récurrentes cherchaient un sens à cette situation incompréhensible. La seule chose qui était sûre, c'est que finalement, j'étais chanceux dans mon malheur. Au vu du nombre de personnes décédées au mètre carré, ma survie avait été un vrai miracle. J'avais pu compter plus de trente cadavres, et pas un seul n'était blessé ou mourant. Ils avaient été minutieusement achevés. Si j'avais pu jouer au Loto, c'était le jour, mais entre un billet gagnant et de l'eau... je prenais l'eau. J'avais la gorge sèche et la déshydratation ne m'aidait pas. D'ailleurs, même mon humour devenait foireux. Je me promettai que si je survivai à cette journée et parvenai à sortir de ce labyrinthe de couloirs et d'escaliers, tous dallés de la même pierre couleur champagne, je ferais un effort pour voir les points positifs de ma situation de merde. Je n'étais pas fan d'escape games, mais là, le jeu en valait la chandelle.

Après de longs efforts, chaque pas résonnant comme un coup de marteau dans ma tête, j'aperçu enfin une large ouverture vitrée, dont la lumière froide et feutrée m'indiquait que ce n'était plus la clarté rougeâtre et diffuse des lampions japonais de la bâtisse mais la clarté de l'extérieur. Il faisait sûrement nuit, car la clarté était faible. Un carreau avait été brisé : plus je m'en approchais, plus la fraîcheur de l'air passant par l'ouverture me saisissait. J'aurais peut-être dû prendre le vêtement du haut d'un de ces hommes, même tâché de sang.

J'arrivai sur une grande cour intérieure, toujours dallée, mais entourée de végétation. Les murs qui l'entouraient étaient ornés de motifs géométriques complexes, inspirés des arabesques du style mauresque, mais posés sur une architecture asiatique. Des arches en fer à cheval soutenaient les galeries tout autour de la cour, chacune décorée de mosaïques colorées aux motifs intriqués. Les fenêtres, haut perchées, étaient protégées par des grilles en fer forgé finement travaillé, leurs motifs semblant former des étoiles et des motifs floraux stylisés.

Les murs étaient couverts de d'aplats blancs, et des zelliges multicolores formaient des motifs complexes en bas des murs. Des arcs outrepassés se succédaient, et des moucharabiehs laissaient filtrer la lumière tamisée qui dardait depuis l'intérieur, et quelques cloisons de bois et de papiers fermaient la cour. L'air était plus frais qu'à l'intérieur, et l'odeur de charogne ne me manquait pas le moins du monde. Une légère brise faisait frissonner les feuilles argentées des quelques plantes grimpantes qui s'accrochaient aux grilles des balcons, rappelant les soirées fraîches qui annonçaient un changement de saison. Au dessus de tout cela, un toit ressemblant à un toit en pagode dépassait, ses tuiles en ardoise sombres contrastant avec la pierre.

Je levais mes yeux plus haut, et au milieu du ciel trônait une petite lune rose pâle aux reflets d'argent et de cuivre. Sa faible lumière éclairait le lieu sans pour autant rayonner autant que notre Lune ... étais-je resté sur Terre ? Je venais à avoir de sérieux doutes vu tout ce que j'étais en train de voir. C'était plus la pénombre que la nuit, la soirée devait être encore jeune. Choqué, je restais un instant à regarder cet Astre céleste. J'en étais sûr maintenant : je n'étais définitivement plus sur Terre. Mais où étais-je ? Et surtout, comment allais-je rentrer chez moi ? Un long moment de découragement me traversa, et les larmes coulèrent, de longs sanglots secouant mon corps affaibli. Je pensais à mes parents, et espérais qu'ils allaient bien. J'imaginais leur détresse, me renvoyant la mienne. Enfin, surtout ma propre détresse. Après tout, c'était moi qui aurait voulu les revoir, se rendraient-ils seulement compte que j'avais disparu ?Allais-je seulement manquer à ma mère et à mon père ? Allais-je mourir sans les serrer dans mes bras une dernière fois? Et si je les revoyai, comment allais-je remettre de l'ordre dans ma vie après ce que j'étais en train de vivre ? Et surtout, allais-je avoir cette opportunité? Lorsque je me calmai enfin, je me rendis compte qu'un bruit plus loin faisait penser à celui de l'eau jaillissante. Je décidai d'arrêter de me lamenter en assénant « tant qu'il y a de la vie il y a de l'espoir ».

Je me traînai jusqu'à un monument rond qui se trouvait être une fontaine dont l'eau coulait depuis un des côtés. Celle-ci était au milieu de la cour, entourée d'herbe rase. Je me hissai pour atteindre son rebord, qui était à la hauteur de ma taille si j'avais été debout. Maladroitement, épuisé, je retombai mollement la tête dans l'eau froide.

Je bus longuement à même l'eau, puis rinçai mon visage, mes cheveux, mon torse et mes bras dans l'ondée glaciale, faisant glisser le sang séché violine de l'homme mort sur moi et m'ayant dissimulé quelques heures plus tôt. J'observais mes mains à nouveau. Elles étaient réellement différentes. Je n'avais plus d'ongles, mais le bout était désormais pointu et dur, comme une serre ou un bout de bois taillé en pointe. Elles étaient, sous la lumière lunaire, d'une singulière couleur taupe. Je frissonnai à la fois de dégoût et de la fraîcheur de l'air. A cause de la brise soufflant à l'extérieur et de la fraîcheur aquatique, je fut rapidement perclus de froid en plus de trembler d'émotion et d'épuisement.

Malgré tout, ce n'était pas le moment de baisser les bras : il fallait au moins que je sorte de ce tombeau à ciel ouvert. Il était possible que les exécuteurs ou d'autres personnes reviennent. S'ils me trouvaient vivant au milieu de ce charnier, je ne donnerais pas cher de ma peau. Je vis de l'autre côté de la cour et à l'opposé de l'endroit où j'étais sorti une porte qui semblait avoir été enfoncée. Les arabesques tourbillonnantes et les lignes géométriques formaient des dessins hypnotisants sur ce qui en restait, racontant de toute évidence une histoire ancienne et mystérieuse. Les ferrures en métal ouvragé, finement ciselées, étaient désormais un vestige éclaté au sol. La porte elle-même, en bois massif sombre, était ornée de clous de cuivre brillants, formant des motifs complexes. Le mur où elle se trouvait était haut et ne possédait que de rares et hauts balcons fermés de fer forgé et un chemin de ronde couvert à son sommet. S'il y avait une sortie, elle devait être là. Toujours à quatre pattes, j'attendis de me trouver contre la muraille pour m'aider des pierres et me relever, au prix d'insurmontables efforts. Lentement, je me glissais dans l'ouverture de la porte, chaque geste mesuré pour ne pas trébucher et tomber. Je me retrouvai dans une petite rue entourée de hauts murs. J'étais enfin sorti. Le vent glacial était plus fort à l'extérieur que dans la cour, m'octroyant un frisson supplémentaire. J'avançai en regardant mes pas, maîtrisant ma respiration pour tenter de ne pas trop trembler sur mes membres inférieurs. J'avais réussi à demeurer vivant jusque là, mais ce n'était pas le moment de me faire repérer. J'optais pour la solution de raser les murs, là où les ombres étaient plus fortes.

Je me soutenais au mur de pierre, chaque pas me faisant souffrir. Concentré sur la douleur comme je l'étais, je ne m'attendais pas vraiment à me trouver devant une paire de bottes hautes et pointues dissimulées comme moi dans l'obscurité projetée du bâtiment. J'ouvris la bouche pour hurler de surprise, mais une longue main masculine se plaqua contre ma bouche pour me faire taire. Le son en fut atténué mais bien trop audible. Au loin, une voix forte se fit entendre, et sans que je ne puisse rien faire, deux Elfes, alertés par mon cri, s'approchaient rapidement. Ils étaient habillés de la même manière, et armés de lances médiévales acérées. Je ne savais pas si le petit garçon en moi voulait les mêmes ou si je n'avais pas envie de finir embroché... mais en tout cas ils étaient bigrement impressionnants.

L'homme qui m'avait fait face glissa sur ma gauche, passant son bras dans mon dos et me soutenant en paraissant naturel. De gestes discrets du bras et de la tête, il me fit comprendre que je devais entrer dans son jeu.

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant