Chapitre 12 : dans l'alcôve, à l'abri des regards

38 10 1
                                    




Urío

Ce qui était bien avec les temples généralistes, c'était qu'ils avaient des salles de prières confidentielles pour que chacun puisse s'isoler pour ne pas exposer sa foi aux autres. Chacun avait le droit de prier le panthéon, ou avoir un dieu favori. Bien sûr, de la prévention était faite que que personne n'ait envie de prier le septième dieu. C'était donc l'endroit privilégié pour les quelques réunions impromptues auxquelles les membres de notre cercle, Les Premiers Assassins, assistaient . Puisque nous travaillions dans l'ombre du Haut-Prince Kyrdar, et que nous n'étions pas censés exister, il fallait ruser pour se rencontrer. Nous n'avions comme quartier général que notre salle d'entraînement, situé loin du Palais, dans le sous sol d'un entrepôt de paille qui appartenait à notre Fanthúr. Il était tout en bas de la colline sur laquelle Abyssia avait été construite. Le fourrage emplissait l'endroit du sol au plafond. Celui-ci couvrait nos bruits de manière efficace. J'avais aussi pu le tester lors de mes ébats avec certains de mes camarades. Lors des combats, il arrivait qu'un pari ou l'autre se fasse, et ordinairement, le perdant couchait avec le vainqueur, dans un geste d'apaisement. Cette vie était celle que j'aimais, faite de combats épiques et de sexe débridé.

J'avais repéré un de mes confrères en entrant dans le temple. Un de ceux avec qui, par contre, je ne voudrais jamais coucher. D'un geste connu de nous seuls, il m'indiqua une des nombreuses salles de prière qui entouraient la Serre. Je laissai mon nouvel esclave et le Haut-Prêtre me distancer, pour ne pas qu'ils aient l'impression que je les suive. Une fois à bonne distance et voyant qu'ils ne me regardaient plus, je me dirigeai vers le lieu indiqué. Nous savions exactement quoi faire pour ne pas nous faire remarquer, et je profitai de l'ombre de l'arbre pour me mouvoir discrètement, évitant les quelques couples présents en train de prier sous l'arbre.

Une fois entré dans l'alcôve, je fermai la porte coulissante et enclenchai la glyphe de confidentialité de la pièce. Elle avait été mise en place pour garantir le secret de la foi particulière de chacun, et je dois dire que j'aimais pouvoir la détourner de son objet premier. Ce fut Quæri qui sorti légèrement des ombres de l'angle de la pièce, mais ne se montra pas beaucoup plus de sa personne. Je n'aimais pas ce type, mais il était mon supérieur. Il ne répondait qu'aux ordres du Fanthùr, et possédait une des meilleures maîtrises d'armes du cercle. Il fut celui qui engagea la conversation.

-« Alors, il paraît que ta mission à la Principauté d'Oggon s'est bien passé ? »

Nous y voilà. Il avait dirigé la dernière mission Shebolleh, mais lorgnait sur mon succès, jaloux comme à son habitude. Je n'aimais pas sa voix arrogante, mais je devais avouer qu'il était sacrément doué en magie et dans le maniement de la dague. Et il était meilleur que moi en combat, c'était indéniable. Un de mes objectifs à long terme d'ailleurs était de le dépasser dans ce domaine. Il connaissait son talent et était imbu de lui même, sûr de lui. Ça n'empêchait pas qu'il me portait sur les nerfs et que j'avais envie de lui enfoncer mes doigts dans ses pupilles effrontées couleur jaune sale. Il voulait de mes nouvelles ? Il allait en avoir ...

-« Tu ne t'attendais quand même pas à ce que mon groupe faillisse ? Nos ordres étaient clairs, nous devions éliminer le troisième fils du Prince Shahíndar et nous avons rempli la mission. J'ai même eu l'honneur de lui trancher la trachée moi même. »

Je parlais d'un ton sec mais bas, n'ayant pas l'habitude d'être aussi direct dans mes propos. En vérité, je n'en avais rien à faire d'avoir assassiné cet homme. Ce n'était pas personnel. Ça m'avait même eu l'air d'être quelqu'un de bien. Mais le troisième fils du Haut-Prince Shahíndar était rompu à la négociation et aux tractations, et avec sa capacité d'orateur, raliait beaucoup trop d'autres principautés à la cause de son Père, à notre détriment. Notre Haut-Prince avait ordonné son exécution après sa dernière action en notre défaveur, car il était hors de lui. Il faut dire qu'il avait la colère facile, et il valait mieux ne pas le contredire... je n'avais pas vraiment d'idées en politique et je priais les dieux que notre souverain priait. Ce que j'aimais, c'était ma liberté, mon métier et mon statut, le servir était donc parfait pour moi. Il m'offrait la vie d'aventure dont je rêvais depuis l'enfance. Tout était parfait ...sauf quand il s'agissait de côtoyer des gens comme Quæri ...

Malgré tout, je me décidai à lui soutirer autant d'informations que je pouvais sur le massacre de la maison Shebolleh, à charge de revanche. Je minaudai car je savais que je lui plaisais physiquement. Il n'en avais rien à faire de moi personnellement, mais je pense qu'il aurait carrément aimé m'attacher pour me baiser et prouver que ma seule valeur était au lit. S'il l'avait pu, il m'aurait évincé du cercle, j'en étais convaincu. Je réussi à apprendre par ce biais que le fils Shebolleh, unique rescapé de la tuerie et héritier doué de la magie familiale, avait très vite compris où étaient ses intérêts et avait déjà promis de continuer le travail de son père, sous l'égide du Conseil Princier. Il semblait donc que la vente des hypothétiques prochains esclaves enrichirait les caisses du Haut-Prince désormais. Il avait promis de s'unir rapidement avec le neveu de notre souverain, fils de son frère décédé et ancien Haut-Prince de Scellæon. Ce dernier insistait pour que Shebolleh ait rapidement un héritier, de manière à lui transmettre son savoir sur la Magitek et qu'il hérite génétiquement de sa magie. Depuis la disparition tragique de sa famille, la possibilité pour notre pays de posséder des esclaves était devenu fragile. Mais un mariage aussi rapidement ? Cette information me fit tiquer. Shebolleh Kàhlar était très jeune, et venait seulement d'entrer dans l'âge adulte. Se marier, pourquoi pas, mais sans amour ? Il avait survécu pour ne connaître que cette humiliation teintée de désespoir ? Bon, après tout, ce n'était pas mes affaires. Chacun ses problèmes avais-je envie de dire. Nos deux missions respectives étaient un succès, c'est tout ce qui comptait pour le cercle des Premiers Assassins, et donc pour moi.

Quæri fanfaronna encore sur la mort de la Garde Shebolleh qu'il trouvait pitoyable et incapable de remplir sa mission de protection. Il n'avait eut, selon lui, aucune vraie résistance et avait travaillé dans le sens inverse de la Garde Princière avec son escouade, éliminant quiconque se trouvait sur sa route, esclaves et Hybrides non éclos inclus. La hiérarchie de la Garde Princière avait été mise au courant de cette aide providentielle et avait demandé à ce que ses hommes ne posent pas de questions. Mon collègue semblait avoir adoré ce moment, me décrivant la détresse des petits Terriens encore attachés alors qu'il leur prenait la vie comme s'il parlait de la fête des lumières qui devait avoir lieu bientôt.

Il indiqua avoir aussi tué lui-même tous les esclaves en train d'éclore, sans exception. Il ne pouvait pas laisser de témoins derrière lui, exécutant les ordres du Haut Prince Kyrdar qui avait ordonné de ne laisser vivante aucune âme se trouvant dans le lieu, justifiant son acte.

Je pensais que finalement c'était Quæri qui avait laissé échapper mon petit protégé, et cela me ravit. Personne ne devait savoir qu'il avait survécu aux armes acérées des assassins du Cercle auquel j'appartenais, et ironiquement cela me plut. La lumière faiblissait, indiquant que l'après midi avait bien avancé et que le premier astre de jour allait bientôt se coucher. Il mit court à notre conversation et sorti en premier, toujours aussi discret et silencieux.

J'espérais que mon esclave ne m'attendait pas depuis trop longtemps, même si j'étais content d'avoir tous les détails de l'opération à laquelle je n'avais pas pu participer. Je rencontrai le Haut-Prêtre qui s'était occupé de lui non loin des racines de l'Arbre : celui-ci m'indiqua où trouver mon esclave. Il m'informa que son baptême se ferait à la prochaine Nuit Obscure, dans un demi-cycle, et que je devrai l'emmener chaque jour pour prier ici, en début de journée, après le lever du second astre de jour. Soit, ça serait du temps perdu mais toute activité qui me permettait de m'éloigner de la maison de mon père me satisfaisait.

Je me permis de lui demander si normalement, comme je l'avais entendu dire, les hybrides ne se faisaient pas baptiser plus rapidement ? Que s'était-il passé pour que le sien prenne autant de temps ? Il eut un sourire énigmatique et m'affirma que les décisions des dieux étaient parfois impénétrables.

J'allai récupérer mon petit protégé, qui, malgré le fait que la porte était entrouverte et qu'il n'était pas surveillé, était en train de scruter les statues miniatures qui représentaient notre Panthéon. Il avait donc décidé, sans le savoir, de se laisser une chance supplémentaire de vivre ? Où était-il assez malin pour n'entrevoir aucune solution immédiate à son esclavage forcé ? Soit ! Je lui accordai ce sursis tant qu'il était aussi agréable, son sourire illuminant son visage félin et me donnant envie de le prendre là, directement sur le sol. Bon sang j'étais en manque, et voir Quæri m'avait encore plus donné le besoin de penser à autre chose. Il allait falloir que je trouve un partenaire rapidement pour ne pas avoir à obéir à mes instincts. J'avais beau savoir que je n'étais qu'un assassin aux impulsions violentes, j'avais encore assez de respect envers moi même pour suivre mes principes de vie. J'admettais de faire ce qu'il fallait pour vivre comme je l'entendais, mais le viol ? Sûrement pas. Je l'arrachai à sa contemplation et lui indiquai sèchement que nous devions partir.

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant