Arslàn
Nous arrivâmes à la fête des lumières, comme il me l'avait promis. Elle avait lieu une fois la nuit tombée, au port qui bordait le lac, entre la muraille protectrice et l'eau sombre. Je ne pouvais m'empêcher de ressentir une certaine irritation. Sorèn m'avait presque traîné ici contre ma volonté, juste lui et moi. J'avais demandé à Zrìeg de nous accompagner, mais il avait décliné sans même formuler d'excuses. La discussion que j'avais entendue m'avait mise de mauvaise humeur, bien que cela n'aurait pas dû. J'aurais préféré rester dans mon lit toute la soirée. Les rires joyeux et les voix animées des autres participants du festival semblaient m'agacer encore plus, et je me renfrognai en suivant mon compagnon à travers la foule. Ils avaient un accent que le correcteur n'arrivait pas à modifier, et traînaient sur des syllabes incongrues. J'avais envie de tous les secouer. A vrai dire, cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti cet état. En général, je me sentais ainsi lorsque mes parents décidaient pour moi ce que je devais faire, et ce qu'ils proposaient ne me plaisait jamais. Je n'avais bizarrement pas ressenti cette colère froide depuis mon arrivée ici, mais ce soir elle revenait en force.
Les lanternes, embarquées dans les barges à fond plat, étaient prêtes à être lâchées. Des centaines d'entre elles attendant le moment où elles s'élèveraient dans le ciel nocturne, me donnant l'impression de rejouer le Raiponce de Disney. Sauf que je n'aimais pas Disney, et encore moins depuis que je devais me les coltiner avec la femme de mon frère qui les montrait à son bébé en boucle. Elle n'avait jamais entendu dire que les écrans étaient nocifs pour les enfants ou quoi ?! A cause de cela, je n'avais plus d'espace pour mes propres loisirs. J'étais régulièrement la nounou de la petite pendant qu'ils étaient à table, m'excluant de leurs conversations alors qu'ils ne faisaient que planifier ma vie. Oui oui, ma vie. La fin de mes études, où je devais travailler, avant quel âge je devais me marier ou avoir un enfant... Voilà, j'avais mis le doigt dessus. J'avais eu l'impression de revivre la même chose en entendant Solgar et Sorèn parler de moi sans m'inviter à leur conversation, alors que j'aurais dû être le principal intéressé. Je regardais la lumière douce et vacillante des lampes de papier qui s'allumaient une à une, mais cela ne parvenait pas à dissiper ma mauvaise humeur. Je me demandais pourquoi il était si important pour lui que je sois ici, alors qu'il aurait pu passer du temps avec Solgar qu'il venait de retrouver.
L'elfe gris, avec son demi-sourire discret habituel, se tourna vers moi, tenant une lanterne entre ses mains. Elle était magnifiquement décorée, des motifs délicats tracés sur le papier fin. Il me la tendit avec une expression sereine.
« Tiens, fais une prière », me dit-il, ses yeux brillants de cette lueur d'enthousiasme qui lui était propre. « Et dans cette prière, ajoute un voeu, quelque chose d'important pour toi, que tu aimerais voir arriver. »
Je soupirai, hésitant un moment avant de prendre la lanterne. Je la regardai, son éclat doré se reflétant dans les yeux roses de Sorèn qui me faisait face. Malgré ma réticence, je pouvais sentir une part de moi se laisser gagner par l'ambiance magique de la fête. Les lanternes, symboles d'espoir et de rêves, me rappelaient des souvenirs d'enfance, des moments où j'avais moi-même cru aux vœux.
« Un vœu, hein ? » murmurai-je, un peu plus doux. « Et si je souhaitais pouvoir repartir chez moi ? Tu crois que ça marcherait? »
Il hocha la tête, son sourire ne faiblissant pas.
« Oh, tu peux faire ce voeu si tu le veux... » ironisa-t-il. « mais je ne crois pas que c'est ce que tu veux vraiment. Je peux me tromper, mais je crois que toi et moi allons faire le même. »
Il n'avait pas tort, bien que j'eu du mal à l'accepter. Je voulais tout comme lui retrouver Astríon sain et sauf. Je pris une grande inspiration, fermant les yeux un instant pour formuler mon souhait. Peut-être qu'au fond, je voulais croire que quelque chose de bien pouvait encore arriver, malgré mon humeur morose. Ouvrant les yeux, je regardai Sorèn qui lâchait sa lanterne. Peut-être que ce vœu serait en effet le même pour nous deux ... mais peut-être avais-je aussi envie de ne plus être envieux de la liberté des autres, désireux moi aussi d'avoir de vrais camarades... à vrai dire, je rêvais de trouver la complicité et la joie qui caractérisent la vrai amitié. J'en étais démuni alors qu'elle existait entre Sorèn et Solgar. Je devais l'admettre, j'étais jaloux. Jaloux, pathétique, inutile et en plus désagréable. Je soupirai et reformulais ma prière. Je demandais à Bàlan de m'aider à trouver la force nécessaire pour changer et retrouver Astríon en vie.
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Isekai : Éveil sur Genoë
RomanceEnlevé sans explication et transporté sur Genoë, une terre étrange baignée par deux soleils et deux lunes, un jeune homme survit de justesse à un massacre. Sauvé par un natif de ce lieu, un homme aux intentions ambiguës, il découvre un univers peupl...