Chapitre 40 : entraînement

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Arslàn

Il ne m'avait fallu que quelques jours pour intégrer qu'Absalón et moi étions désormais dans le même camp. Je l'aimais bien depuis le début, et ça m'avait peiné de le savoir mort. C'était un sentiment ambivalent, même s'il avait assassiné sur ordre de son Haut-Prince et que la victime n'était même pas un guerrier. Les trois jours qui avaient suivi mon arrivée dans le domaine furent prolifiques. Le nouveau et jeune Maistre Shebolleh Kàhlar nous hébergeait dans sa demeure, mais était souvent absent, préparant son futur mariage qui devait avoir bientôt lieu. Il avait donné l'ordre à ses hommes de rechercher mes compagnons puisqu'ils devaient arriver prochainement dans la ville, et cela de manière discrète. Il espérait qu'ils tentent de me rejoindre au point de rendez-vous que je lui avais indiqué. Le plan était de les intercepter avant qu'ils n'approchent la maison qui était surveillée par les Premiers Assassins. La tempête se calmait enfin et leur voyage dans ma direction devenait probable. J'avais averti le Maistre de mon pacte avec un dragon. Après tout, il devait savoir quels étaient mes atouts pour pouvoir les utiliser. Il m'avait pressé l'épaule dans un rictus d'étonnement, et félicité d'avoir trouvé un allié puissant. Selon lui, cela renforçait l'estime qu'il avait pour moi, bien que je ne sache pas exactement comment s'imbriquaient les rouages de ses pensées intriquées. Son intelligence était un défi pour la mienne, et j'espérais pouvoir un jour mieux le comprendre. Il avait ainsi trouvé un moyen pour contacter Zrìeg suite à mes indications et l'avais tenu au courant de la situation sans se faire carboniser. Je m'étais décidé à lui faire confiance, ses raisons de vengeance étant bien trop importantes pour que faire du mal à un petit hybride puisse prendre le dessus sur ce sentiment extrême. Je n'avais pas le choix, et je jouais cartes sur table. Je ne savais pas comment il avait réussi à faire approcher Zrìeg et je préférais ne pas trop poser de questions. Peut-être aurais-je dû, après tout, c'était mon pacte et j'en étais responsable. Quoi qu'il en soit, le message était passé selon Shebolleh, et c'était le plus important.

Grâce à lui, ma guérison avait été éclair, et m'avait permis d'occuper mon temps intelligemment. Absalón Urío avait décidé de m'apprendre les bases du combat. Je ne demandais qu'à devenir moins incompétent. Bien entendu, aucun miracle ne pouvait arriver en si peu de temps. Vu mon point de départ, tout était un plus. J'avais appris à mes dépends qu'Urío était son prénom et pas Absalón, et ça l'avait fait rire. Il m'avait permis de continuer à l'appeler comme bon me semblait. Depuis qu'il était libéré du poids des contraintes imposées par sa famille, il était beaucoup plus volubile et agréable. Je me fis la réflexion que ça aurait dû être mon cas aussi, mais je me sentais encore englué sous le poids de la responsabilité envers des êtres que je ne reverrais certainement jamais.

Un soir, il m'avait proposé de passer la soirée tous les deux, et par là il entendait coucher ensemble. Je m'étais réfugié derrière le souvenir de ma récente tentative de viol, lui expliquant que je n'étais pas prêt après un tel traumatisme. Mais je me ravisai intérieurement car bien que cela avait été horrible, ce mec n'avait pas eu le temps de me prendre et il était désormais mort et j'avais été vengé. Même si j'avais peur de me faire violer, j'avais toujours été quelqu'un de craintif de toute façon. Je m'énervais et pourtant je n'arrivais pas à changer. Il était temps de foutre un coup de pied dans la fourmilière : je devais lui dire la vérité. Je lui avais alors appris mon attachement envers le Prince Astríon. Lui avouer fut difficile, presque plus que de parler de mon agression par le bourreau, comme s'il allait me juger, désapprouver et que cela comptait pour moi. Il s'était juste moqué de ma veulerie face à ce simple aveu, et qu'il comprenait ce qui me motivait à aller le chercher coûte que coûte. Il me consola, et me dit qu'il n'y aurait pas meilleure thérapie que les bras de quelqu'un que je désirais physiquement. Pour lui le plaisir n'avait rien à voir avec l'amour et j'aurais pu simplement céder à un homme, peu importe l'homme, sans que cela ait de conséquence. Les choses étaient ainsi pour le peuple de Genoë à la longévité extraordinaire. C'était une philosophie de vie difficile à intégrer pour quelqu'un qui avait été élevé sur Terre. Quand depuis petit on te dit que céder à ses pulsions sexuelles est normal, forcément on ne devient pas le même homme que quand tout est tabou. Quant au mariage, rester amoureux et mariés pendant plus de 300 ans voire plus en étant fidèle leur était utopique, et il était normal d'aller voir ailleurs pour entretenir la flamme, pimenter le couple. A quoi je répliquai que j'y penserai dans quelques années, mais que maintenant il me fallait au moins avoir une première fois avec quelqu'un et que je ne voulais pas que ce soit lui, ni un autre qu'Astríon. Il fit semblant de se vexer, prétextant qu'il n'était pas un mauvais amant. Mais nous finîmes quand même la soirée ensemble à parler de nos vies et des coutumes de nos mondes, en toute amitié cette fois et sans ambiguïté. A la fin de la soirée, j'avais l'impression qu'une partie de moi avait été réparée, et que je pouvais penser à tourner la page douloureuse du passé.

Enfin, après quelques jours, la tempête pris fin et laissa place à un ciel clair. Ce matin là, l'aurore fut magnifique, vibrante de couleurs. Je l'observais de mon moucharabié depuis ma chambre située dans les hauteurs du domaine, et espérai le retour de mes compagnons. Je ne pouvais pas sortir car j'étais recherché dans toute la ville. Celle-ci était sens dessus dessous depuis mon évasion, et les patrouilles allaient leur rendre la vie difficile si je venais à arpenter les rues. Je les espérais suffisamment compétents pour passer les barrages, mais suffisamment attentifs pour voir les signes que les quelques agents de Shebolleh tentaient de mettre en place dans le but de les intercepter en toute sécurité.

Absalón avait récupéré mon pendentif laissé sous l'escalier de la maison lors d'une relève des Premiers Assassins sur le lieu de la surveillance, quasiment sous leurs yeux. Il m'avait raconté l'action avec fierté, et sa supériorité n'était pas étonnante puisqu'il m'avait montré sa magie des ombres et qu'elle l'aidait à être d'une discrétion à toutes épreuves. Je comprenais à demi mots pourquoi la position qu'il avait obtenue était héréditaire, l'enfant héritant de chacune des magies les plus puissantes de ses parents lorsque ceux-ci en possédaient, ce qui est loin d'être la majorité, le peuple étant majoritairement né sans magie. Celle qu'il possédait, de nature Ombre, était rare. Il était évident qu'il était naturellement le meilleur candidat à ce poste où la discrétion et la puissance étaient primordiales.

En observant la rue depuis mon nid d'aigle, je fus néanmoins surpris de voir deux ombres se diriger vers la demeure. J'avais failli ne pas les apercevoir, car elles se fondaient avec la rue et se cachaient avec talent. A leur démarche, mon instinct me dit que c'était Solgar et Sorèn. Je me levai précipitamment du rebord de pierre et sortais de la pièce en courant pour aller à leur rencontre, malgré mes courbatures dues à mon entrainement des derniers jours. Je prévins les gardes en place en arrivant dans la cour et leur fis ouvrir le portail de derrière. Mon coeur battait fort. Avais-je rêvé ? Ce fut en les voyant se faufiler à l'intérieur que je sus que je ne m'étais pas tromper. Je déboulai sur les pavés de la cour les pieds nus et ils m'aperçurent. Je sautais dans les bras de mes amis en laissant exploser ma joie.

Essoufflé, je m'écriai :

-« Comment avez-vous su que j'étais là? »

Solgar m'ébouriffa les cheveux à son habitude il me répondit de sa grosse voix solaire :

-« Zrìeg est venu à notre rencontre alors que nous nous dirigions ici ! Il savait où tu te trouvais, il nous a déclaré qu'il avait été prévenu par le propriétaire de ces lieux. Je ne pensais pas que le dragon accepterait de nous aider dans une situation qui touche au destin, mais il devait se faire du souci pour toi, mon garçon ! »

Sorèn ajouta : « La ville est dans une effervescence que j'avais rarement vue ... la garde a été renforcée, j'ai bien crû que nous ne passerions pas les murailles. Dis-moi Arslàn ... est-ce vrai ce que Zrìeg nous a dit ? Que tu as été capturé et que c'est le fils Absalón qui t'a délivré ? J'ai du mal à le croire... »

Mes deux compagnons relevèrent soudain la tête dans la direction de l'ouverture qui menait au domaine, à l'affut et prêt à se défendre. Je regardais dans la même direction et aperçu Absalón nous observant, le corps à moitié caché dans les ombres de l'entrée. Sa respiration se teintait de buée à un rythme lent, et il semblait calme. Peut-être trop calme pour...merde. C'est vrai que mes amis avaient eu l'intention de le tuer, et que c'était toujours le cas. Il fallait que j'intervienne, pas qu'ils fassent une bêtise.

« Sorèn, Solgar »

fis-je en m'interposant corporellement entre eux et Absalón et en tendant les mains dans un geste d'arrêt et d'apaisement.

« Acceptez d'écouter Absalón. Il m'a sauvé avec l'aide du propriétaire de ce lieu, Shebolleh Kàhlar. Il m'entraîne au combat ces derniers jours et attendait votre venue pour que nous allions tous ensemble délivrer Astríon. Je vous jure qu'il a une bonne raison de nous aider. Il va tout vous expliquer, alors par pitié ne prenez pas de décisions hâtives. Laissez lui une chance. »

Solgar montra ses crocs, semblant ne pas entendre ce que j'avais dit, alors qu'il portait la main à la garde de son arme.

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant