Chapitre 32 : pulsations

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Solgar

Je clignai des yeux, ébloui par la lumière tamisée de la pièce. Une douleur lancinante me martelait la tête, chaque pulsation résonnant comme un coup de marteau. Je grimaçai en tentant de bouger. Mon crâne semblait sur le point d'exploser. En levant une main tremblante à mon front, je sentis un bandage rugueux et la magie visqueuse autour enserrer ma tête, témoins de la gravité de ma blessure.

Je tentai de me redresser, mais une vague de vertige me submergea, me forçant à me rallonger. Des fragments de souvenirs me revenaient en mémoire : la silhouette menaçante de mon agresseur, ses vêtements distinctifs, propres à la Principauté de Scellæon. Le blason gravé sur le pommeau de sa dague, avec deux lunes entourées d'un cercle, se grava dans mon esprit, confirmant l'identité de mon attaquant. C'était un membre de l'ordre des Premiers Assassins.

Le visage de cet homme apparut clairement devant mes yeux fermés. Un regard froid, implacable, et une détermination inébranlable. Je me souvenais de la rapidité et de la précision avec lesquelles il avait attaqué, la dague scintillant dans la lumière rouge des lanternes avant de s'abattre sur moi. J'étais parti ce soir là pour trouver quelqu'un avec qui baiser, et je m'étais pas assez préparé mentalement à devoir combattre. J'avais tout de même réussi à prendre le dessus, et mon adversaire s'était enfuit à travers la nuit, sous la pluie. Il avait sauté sur un des cinq wyrms caché en bordure de ville près des falaises, et avait tenté de me semer. Peut-être pas assez, maintenant que j'y repensais. Il avait voulu que je le suive pour m'éloigner du prince. Comme je n'avais pas réfléchi à cela avant, j'avais alors emprunté un des autres sauriens volants présents pour le poursuivre jusqu'à Ballymena, où j'avais été pris dans un guet apens. Plusieurs hommes m'attendaient. J'avais lutté, bien sûr, mais l'attaque avait été trop brutale, trop soudaine : une explosion de douleur à ma tempe, puis plus rien. J'avais dû perdre connaissance à ce moment là. Je ne comprenais pas pourquoi ils ne m'avaient pas tué, mais ils avaient dû penser que je serais mort avant qu'on ne me retrouve.

Et pourtant, ça aurait dû être le cas. J'observai mon environnement, incapable de comprendre ce que je faisais là, tranquillement installé dans des draps tirés sur moi. Je me trouvais dans une petite chambre modeste, aux murs blancs et aux meubles en bois rose typique des habitations de la perle du ciel. Les rideaux translucides étaient fermés mais laissaient filtrer la lumière douce des vitraux pastels qui n'aggravait pas ma migraine. Une table de chevet se trouvait à côté du lit bas, avec un pichet d'eau et un verre posés dessus. Un parfum d'herbes médicinales flottait dans l'air, apaisant légèrement ma douleur.

Je pris une profonde inspiration, tentant de calmer les battements affolés de mon cœur. Qui m'avait sauvé ? Et pourquoi ? Il fallait que je retrouve mes compagnons, que je comprenne ce qui s'était passé. Mais avant tout, il fallait que je me lève. Je me redressai lentement, chaque mouvement me coûtant un effort immense. Mes muscles étaient endoloris, et je sentais la fatigue peser lourdement sur mes épaules.

Alors que je posais les pieds au sol, je me jurai de découvrir qui m'avait attaqué et pourquoi. Je devais me méfier de la Principauté de Scellæon et de ses intrigues. Le prince était-il en danger ? La réalisation de ce fait me fit hoqueter et je faillis m'étouffer.

Je pris le pichet d'eau et remplis le verre, buvant à petites gorgées pour apaiser ma gorge sèche et me calmer. La porte s'entrouvrit brutalement et je sursautais, mon coeur faisant un bond. Un dragon sous forme humaine, reconnaissable par ses écailles affleurantes sur sa peau et ses pupilles étroites, entra avec un cataplasme dans sa main noueuse. Il me salua de la tête, et je lui répondis, suspicieux. Cela déclencha immédiatement une douleur et je clignais des yeux dans un réflexe analgésique. Au vu de sa taille et de son physique impressionnants, ce dragon n 'était pas de ces jeunes individus avec qui la famille princière avait pour habitude de sceller des pactes, faciles à convaincre et désireux de se mêler aux humains.

Il s'approcha et me repoussa sur le lit d'un geste ferme mais doux, m'obligeant à me rallonger. Il accompagna mon mouvement d'une main dans la nuque, confirmant que c'était lui qui m'avait soigné jusque là. Il posa le cataplasme froid sur mon front, et sa fraicheur me soulagea immédiatement.

Il prit la parole alors que je l'interrogeais silencieusement des yeux. Sa voix basse, grondante et crépitante déclencha un pic de douleur dans mes lobes :

« Je vais prévenir Arslàn que tu es réveillé, comme il me l'a demandé. Ne bouge pas, je reviens avec lui. »

Arslàn ? Voilà bien un nom que je ne m'attendais pas à entendre, là, tout de suite, surtout aussi loin de là où il était censé se trouver. Le bel hybride ne devait-il pas se trouver avec le prince ? J'avais décidément un mauvais pressentiment ...

Quelques instants plus tard, il revint, réellement accompagné du jeune protégé de mon fanthùr. En me voyant, il eut l'air véritablement soulagé, et se précipita à mon chevet, m'interdisant d'essayer de me relever. Il me posa un nombre incalculable de questions sur mon bien-être, allant de la soif à la faim en passant par ma douleur. Je n'étais vraiment pas en forme, c'était certain, mais ce n'était pas la première fois que j'étais blessé et je savais que cet état de faiblesse finirait par passer. Je l'arrêtais dans son flot de parole en levant les mains vers lui. Comprenant mon geste, il se tut en pleine phrase. Je pus enfin lui adresser la parole.

« Je comprends que ma santé te préoccupe, mais tu vois que je vais bien. J'ai déjà bu et je mangerais bientôt. Ce que j'aimerais, c'est comprendre ce que tu fais là, accompagné d'un dragon, et que tu me dises où est le prince Astríon, si tu veux bien. »

Il prit un air consterné, et me raconta le combat du prince avec un des assassins de Scellæon, me rapporta ses paroles, ce qu'il avait compris de sa façon de combattre, sa fuite et le fait que le Prince était parti à sa poursuite. Ainsi, Absalòn Urìo avait survécu ... c'était une bien mauvaise nouvelle. Je compris rapidement que l'attaque dont j'avais été victime avait pour but soit de me tuer, soit de m'éloigner de mon fanthùr, pour que je ne puisse pas aller lui porter main forte. Ma vie n'avait pas pesé lourd dans la balance, et ma survie n'était pas nécessaire. Cet assassin, Quæri, ne souhaitait que ramener mon prince mort ou vif à Abyssia. Mais comment m'avait-il retrouvé ? Et où était Sorèn ?

Il m'avoua n'avoir vu personne revenir à l'auberge et avoir été jeté dehors la nuit suivante. Son récit à partir du Temple, dont il ne m'avoua pas la divinité vénérée, me parut tenir du miracle. Vu que le dragon ne cillait pas, cela semblait être la stricte vérité. Nous avions dans nos rangs des hybrides extrêmement doués en magie, je ne voyais pas pourquoi Arslàn ne pouvait pas en faire partie, dans le futur. Il était encore très jeune et hésitant, mais sa capacité à gérer la situation présente démontrait de plus de foi et détermination que beaucoup d'hybrides plus âgés de mon entourage proche.

Je le laissais finir son récit et lui demandais :

« As-tu encore le guide divin à tes côtés ? Penses-tu qu'il pourrait nous conduire jusqu'au prince? »

J'espérais en secret que le fait qu'il l'ait d'abord conduit à moi prouvait que j'étais celui qui était en plus grand danger de mort, et que les autres étaient dans une bien meilleure situation. Il me répondit ne pas l'avoir aperçu depuis son arrivée ici, mais que cela ne voulait pas forcément dire qu'il ne réapparaitrait pas. Je soupirais, réveillant légèrement la douleur aigu qui me lançait au niveau de la tempe. Je n'avais qu'une idée, et espérais qu'elle serait la bonne :

« Nous avions défini un point de rendez-vous si jamais nous étions séparés, le Prince, Sorèn et moi. Qui sait, peut-être l'un d'entre eux nous y attend déjà ? »

Je leur indiquais le lieu, situé dans petite ville sur Oromyr nommée Adairmena. La cité était positionnée sur le flanc nord de la principauté au milieu du plus grand lac de l'île, à l'opposé géographique de Ballymena. La demeure appartenait à un des pères de Sorèn, originaire de la ville. Celui-ci avait quitté son pays pour rejoindre celui de l'homme qu'il aimait. Il était donc parti vivre avec lui à Mihē, la capitale d'Oggon. Il ne l'avait plus quitté et avait proposé à Sorèn d'utiliser la maison à son gré.

Le dragon, jusque là immobile, hocha la tête. Il prit la parole, indiquant accepter de nous y emmener ... à la condition que je sois un peu plus remis qu'actuellement. J'acceptais de manger et de le laisser me soigner, désireux de repartir au plus vite à la recherche de mon compagnon d'arme et de mon fanthùr.

Isekai : Éveil sur GenoëOù les histoires vivent. Découvrez maintenant