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Il était 1h du matin, et la maison, habituellement si animée, était plongée dans un silence lourd et oppressant. Tout le personnel dormait, épuisé par la longue journée.

Fatna avait discrètement glissé à Jawhara, la domestique, de ne pas s'inquiéter du fait que Salwa l'ait renvoyée plus tôt dans la journée et qu'elle devait revenir demain, comme si de rien n'était. Ils auraient besoin d'elle plus que jamais.

Le corps d'El Patron, désormais froid et sans vie, avait été emmené à l'hôpital, où il reposait dans la chambre froide, attendant les derniers rites. Cette maison, qui plus tôt avait résonné des cris de joie pour célébrer la naissance d'une nouvelle vie, était maintenant une coquille vide, étouffée par un silence accablant.

Neyla, malgré la distance physique qui la séparait de la maison, savait. L'information lui était parvenue rapidement, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. El Patron, l'homme puissant et respecté, n'était plus. Elle n'avait montré aucune réaction immédiate, aucun éclat de chagrin ou de douleur visible.

Son visage, habituellement impassible, était resté de marbre, trahissant peu de ce qu'elle ressentait réellement. Neyla était connue pour son calme froid, une maîtrise d'elle-même presque inquiétante, comme si rien ne pouvait véritablement l'atteindre.

Allongée sur le lit de l'hôpital, elle veillait sur sa fille nouveau-née, mais elle ne montrait aucun geste de tendresse, aucun signe d'affection. La petite fille dormait paisiblement, inconsciente de la tempête émotionnelle qui grondait tout autour d'elle. Neyla, elle, restait figée, les yeux fixés sur le plafond, perdue dans ses pensées.

Elle regardait sa fille avec une sorte de détachement, comme si ce petit être, pourtant si innocent, était étranger à ses préoccupations du moment.

Elle n'avait pas encore trouvé en elle la force ou peut-être l'envie de nouer un lien avec cet enfant.

Neyla se sentait peut-être encore étrangère à son rôle de mère, ou peut-être que la perte d'El Patron lui rappelait trop cruellement les attentes et les responsabilités auxquelles elle allait devoir faire face désormais.

Le personnel de l'hôpital avait remarqué son attitude, mais personne n'osait dire quoi que ce soit.

Neyla était une femme de caractère, forte et déterminée, et même dans la douleur, elle restait fidèle à cette image. Les gestes d'affection, les caresses et les baisers qui devraient normalement entourer une naissance semblaient absents, remplacés par une froideur qui intriguait autant qu'elle effrayait.

Neyla restait donc là, seule dans sa chambre d'hôpital.

Samia, elle, s'était chargée de Kassim pour la nuit. Le petit garçon, bouleversé par ce qu'il avait vu, avait fini par s'endormir, épuisé, dans les bras de sa mère.

Samia avait décidé de dormir avec lui, cherchant à le protéger des cauchemars qui ne manqueraient pas de l'assaillir. Elle-même, pourtant, ne parvenait pas à trouver le sommeil, son esprit tourmenté par les événements de la journée.

Dans le salon, seuls Adil, Said, Salwa, et Fatna étaient encore éveillés. Personne ne trouvait le repos, chacun plongé dans ses pensées, tentant de comprendre l'absurdité de ce jour où la vie et la mort s'étaient croisées de manière si cruelle.

Salwa, habituellement si posée, se rongeait les ongles pour la première fois de sa vie. Elle, qui prenait tant de soin à toujours avoir une manucure impeccable, avait détruit sa French parfaite en quelques minutes, dévorée par un stress insupportable. Ses mains tremblaient légèrement, et son regard, perdu dans le vide, semblait revivre encore et encore les événements de la journée.

Salwa - Bouteille à la merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant