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Ce soir-là, Lucas est rentré à trois heures du matin. Je ne dormais pas vraiment. J'avais senti l'obscurité se prolonger bien au-delà du moment où j'aurais dû m'endormir, tournant et retournant ses mots dans ma tête.
Cette façon dont il avait coupé le poème... Je n'avais rien compris à son départ précipité, mais ce qui m'avait frappé, c'était cette coupure, ce moment où il avait terminé la phrase à ma place, comme pour mettre fin à quelque chose que je ne percevais pas encore. Mais moi, je l'ai sentie, cette coupure. Cette faille.

Quand il est parti, j'ai ressenti tellement de choses d'un coup que je ne savais plus où donner de la tête. Il ne sait rien, et je fais tout pour qu'il ne le sache pas. Lucas, c'est comme une bouffée d'air frais après des mois à suffoquer.
Après le départ de Gabriel, j'avais l'impression que tout s'écroulait autour de moi, et j'ai cru que je ne pourrais jamais reconstruire quoi que ce soit. Notre histoire m'avait brisé. Littéralement. C'était trop. Trop de douleur, trop d'attentes, trop de compromis. Je n'avais plus la force de me battre pour nous deux. Alors j'ai laissé tomber. Lucas n'arrête pas de me répéter qu'un jour, je serai de nouveau à ses côtés. Qu'un couple destiné à être ensemble le sera, quoiqu'il arrive, et donc ce n'était juste pas notre moment.

Avec Lucas, c'est différent. C'est plus simple. Je ne comprends pas tout ce que je ressens pour lui, mais ça se renforce chaque jour, comme une évidence qui se dessine petit à petit. Il m'apprend des choses sur la vie, malgré ses années de moins. Il m'apporte un équilibre que je n'avais jamais trouvé avant. Avec lui, je peux être moi-même, sans masque, sans peur.
Je crois que je lui apporte aussi un équilibre.

Mais je cache tout ça, toutes ces émotions qui bouillonnent en moi, parce que je ne veux pas risquer de le perdre. Perdre Gabriel m'a déjà coûté trop cher, alors perdre Lucas... je crois que ça me détruirait.

À côté de ça, je joue un rôle avec Julie. Avec elle, j'ai trouvé une sorte de compromis. Ce n'est pas aussi difficile que je l'aurais pensé. Être présent pour mon fils, c'est tout ce qui compte. Je refuse d'être ce père distant et absent que j'ai moi-même eu. Je veux être là pour lui, même si ça signifie faire semblant avec Julie. C'est un mensonge, oui, mais c'est un mensonge que je peux tolérer si ça me permet de rester près de lui.

Marie, elle, reste fidèle à elle-même. Toujours à mes côtés, toujours là, même après tout ce qui s'est passé. C'est comme si la rupture avec Gabriel l'avait attristée plus que moi. Je le croise chaque jour au travail, mais il ne me parle plus. C'est comme si tout ce que nous avions partagé avait été effacé d'un coup. C'est lui qui a rompu la coalition, sur un coup de tête, sur une impulsion que je n'ai pas cherché à comprendre.
Marie n'en parle jamais, mais je sens qu'elle aussi est affectée. Malgré ça, quelque chose semble faux chez elle. Une sorte de tristesse ou peut-être de retenue, comme si elle me cachait quelque chose. J'ai tenté d'en discuter avec Lucas, mais dès que je mentionne sa mère, il trouve toujours un moyen de changer de sujet. Je ne comprends pas pourquoi, et je ne veux pas l'embêter avec ça.

Je repense souvent à Gabriel, tous les jours. À tout ce qu'on a traversé ensemble. À l'amour que je lui porte encore, malgré tout. Mais c'était devenu insoutenable. Ces derniers mois, entre Julien, Julie, Sam, Stan... chaque jour était une épreuve, une terrible épreuve. Et puis il y a eu Lucas. Retrouver Lucas dans cet appartement, juste nous deux, pour la première fois, j'avais l'impression de pouvoir respirer à nouveau.

Mais ce soir-là, quand il est rentré si tard, quelque chose m'a étreint le cœur. J'ai fait semblant de dormir sur le canapé, mais en réalité, j'écoutais chacun de ses mouvements. Je l'ai senti s'approcher. Il m'a bordé doucement, j'ai été à deux doigts de me lever, de lui avouer ce que je ressentais. Je voulais tout lui dire. Lui dire à quel point il comptait pour moi. Mais je n'ai pas pu. La peur m'a paralysé. Je ne pouvais pas risquer de le perdre. Je préfère garder notre amitié plutôt que de tout gâcher avec des mots que je pourrais regretter.

PRÊTS À TOUT [ ATTAL X BARDELLA ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant