P3 - XXXVI.

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Je me tiens devant la porte de l'appartement de Dan, mon poing levé, hésitant. Dix jours. Dix foutus jours depuis l'enterrement de Lucas. Pas un message, pas un appel. Rien. Je sais qu'il est là, enfermé, seul, en train de se noyer dans sa douleur. Et moi, je ne peux plus supporter de rester à l'écart, de le regarder s'enfoncer sans rien faire. Le procès de Marie et Julien commence aujourd'hui. Je dois l'emmener avec moi. Je prends une grande inspiration et frappe enfin à la porte.

Pas de réponse.

Je frappe encore, plus fort cette fois.

Toujours rien.

Je pose ma main sur la poignée et, à ma surprise, la porte est entrebâillée. Je pousse doucement avec mon pied, et elle s'ouvre en grand. Je m'immobilise un instant.

L'appartement est dans un état lamentable. Le bazar est total. Des vêtements jonchent le sol, des papiers froissés traînent partout, comme si un ouragan était passé par là. Au loin, je vois le lit conjugal de Lucas et Dan, complètement à la verticale contre le mur, comme s'il avait été renversé dans un moment de rage. Sur le canapé, une couverture froissée. Il dort là, visiblement.

Plusieurs bouteilles vides traînent sur la table basse. L'odeur d'alcool flotte dans l'air, lourde et amère. Je fais un pas à l'intérieur, puis un autre.

- Dan ?

Pas de réponse, encore. 
Je m'approche un peu plus, et finalement, je le vois. Il est debout devant la fenêtre, dos à moi. Il porte un vieux t-shirt froissé et un jean, ses épaules affaissées, sa tête légèrement inclinée vers le bas. Il ne bouge pas, comme s'il n'avait même pas remarqué ma présence. Ou alors il s'en fout. 

- Dan, tu dors sur le canapé ?

Il ne répond pas tout de suite, puis, d'une voix rauque, lointaine, il lâche un vague "Ouais."Je jette un coup d'œil aux bouteilles, et la colère monte en moi. Pas contre lui, mais contre cette situation. Contre tout ce qui l'a brisé.

- Et les bouteilles ? Tu comptes continuer à boire jusqu'à ce que tu t'effondres ?

Il ne bouge pas, ne me regarde même pas. Son absence est insupportable. Je m'approche un peu plus, ferme la porte derrière moi et croise les bras.

- Prends un sac, lui dis-je, la voix plus ferme que je ne l'aurais voulu. Après le procès, tu viens chez moi. Je refuse de te laisser dans cet état.

Je m'attends à une réaction, mais il se contente de secouer légèrement la tête, un sourire amer aux lèvres. 

- Hors de question, murmure-t-il. On y va s'il te plaît. 
Je m'avance d'un pas rapide, et avant qu'il ne puisse atteindre le seuil de la porte, je me place devant lui, le bloquant de ma petite taille comparée à la sienne, mais avec toute la fermeté que je peux rassembler.

- Je rigole pas, Dan. Tu prends tes affaires et tu viens chez moi.

Il s'arrête net, ses yeux se baissent vers moi, lentement. Quand nos regards se croisent, je remarque pour la première fois ses yeux rouges, gonflés, comme s'il avait pleuré toute la nuit. Malgré ça, je ne me laisse pas attendrir. Je fronce les sourcils, déterminé.  
Dan rit. Un rire court, sec, presque cruel. Puis il s'écarte pour se diriger vers la porte. Je n'hésite pas une seconde et attrape son poignet, le retournant vers moi.

- Très bien, tu veux jouer à ça ? Je viens vivre avec toi ici. Je ne te laisse pas seul.

Son regard change immédiatement. Il s'assombrit, se durcit. Pendant une fraction de seconde, j'ai l'impression qu'il va me frapper, que sa colère va exploser, mais il se retient. Il ne ferait jamais ça, je le sais. Pourtant, il crie presque :

- Hors de question. C'est non, putain. Fous-moi la paix !

Sa voix résonne dans l'appartement vide, et je le fixe, ne bougeant pas. Mon regard glisse un instant sur ses lèvres, malgré moi, et je le regrette immédiatement. Il le remarque, évidemment, et fronce les sourcils, ne comprenant pas ce geste.
Mais je reste concentré. Je pose une main sur son épaule et murmure :

- S'il te plaît, Dan... viens chez moi. Ne reste pas seul ici.

Il reste silencieux un long moment. Puis, finalement, il lâche un soupir profond, se dégage et va chercher un sac dans un placard. Il le jette sur le canapé et commence à y entasser quelques affaires.

... 

Le tribunal est bondé. Marie et Julien se tiennent côte à côte dans le box des accusés, mais ils n'ont rien à se dire. Marie, le visage fermé, semble avoir perdu toute expression humaine. Julien, lui, évite le regard de tout le monde, surtout celui de Dan. Je jette un coup d'œil à Dan, assis à côté de moi. Sa mâchoire est crispée, ses poings serrés sur ses genoux. Il ne parle pas, mais la colère irradie de lui comme une aura palpable. Je le connais suffisamment pour savoir qu'il rêve de les voir condamnés, et pas à n'importe quoi. Il veut qu'ils pourrissent en prison. Il veut leur destruction.

Le procureur commence à parler, détaillant les charges retenues contre eux. Complicité de meurtre pour Marie, et meurtre avec préméditation pour Julien. Dan reste impassible, les yeux rivés sur son père. C'est presque inhumain, ce qu'il ressent. Une haine si profonde qu'elle semble brûler tout le reste.Les témoignages se succèdent. 

On entend parler de la relation toxique entre Dan et Julien, des abus, des menaces contre son fils et son petit-ami. Et puis, il y a cette balle qui a tout changé. Dan serre les dents, les muscles de sa mâchoire saillants. 

Quand le verdict tombe enfin, c'est comme si tout l'air avait quitté la salle d'audience d'un coup. Marie est condamnée à 30 ans et Julien à la perpétuité. Dan ne bouge pas, ne dit rien. Il se contente de fixer son père, d'un regard froid et implacable. Et quand Julien lève enfin les yeux vers lui, cherchant peut-être un éclat de pitié, de regret, tout ce qu'il trouve, c'est un fils qui le hait d'une manière absolue. Dan se lève, tourne les talons et quitte la salle, sans un mot. Je le suis dehors, le cœur lourd.

Je m'approche, lui donnant un léger coup d'épaule pour capter son attention.

- Viens, on va se bourrer la gueule, je propose d'un ton presque léger. 

Dan s'arrête et se retourne vers moi, les sourcils froncés, clairement irrité par ma suggestion. Il me regarde avec cet air d'incompréhension, puis éclate d'un rire sans joie, sec.

- T'es sérieux, là ? Tu viens pas de me faire chier parce que je picolais chez moi y a deux heures ?

Je me retiens de sourire. Évidemment qu'il allait me balancer ça. Il a raison, mais aujourd'hui, c'est différent. Je hausse les épaules et croise les bras en le regardant droit dans les yeux.

- Aujourd'hui, on a le droit, je réponds calmement. Et puis, on sera deux. 

Dan me fixe pendant un long moment, ses yeux cernés, rouges de colère et de fatigue. Il hésite, visiblement partagé entre son besoin d'être seul et celui de relâcher un peu de la pression qui l'écrase depuis des jours. Finalement, il secoue la tête, une lueur de défi dans le regard.

- T'as pas peur de t'écrouler en plein milieu de la soirée, toi ? Tu tiens pas trois verres, Gaby.

- C'est toi qui va t'écrouler, c'est pas moi, je réplique, un sourire en coin.

Il secoue encore la tête, mais cette fois, j'aperçois presque un éclat amusé dans ses yeux, un bref instant où la rage s'efface. Juste un instant. 

- D'accord. Mais pas un bar. Je veux pas croiser de connards. Chez toi, c'est mieux.

Je soupire de soulagement. Il a dit oui. Il va venir avec moi. C'est déjà ça. Je ne cherche même pas à cacher mon soulagement.

- Allez, on bouge, je dis, en lui tapant sur l'épaule avant de me diriger vers ma voiture. On se glisse tous les deux dans l'habitacle. Le silence est confortable, cette fois. Ni l'un ni l'autre ne parle, mais il n'y a plus cette tension insupportable qu'il traîne depuis l'enterrement. 

Pendant le trajet, je jette quelques regards vers lui. Il fixe la route, les poings toujours serrés, mais son souffle semble moins saccadé, comme s'il commençait enfin à laisser tomber un peu de cette colère.

... 

Bonne semaine à vous !! 

PRÊTS À TOUT [ ATTAL X BARDELLA ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant