Chapitre 30 : Aveux

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  Sur la route, les gouttes de pluie assaillent le pare-brise, que les essuies-glace défendent comme ils peuvent. À cela s'ajoutent des larmes. La conductrice se perd dans des pensées négatives.

[Conversation téléphonique]
Juliette : Alice ?
Alice : Oui, hum... Juliette, excuse-moi, je...
  La main sur la bouche, elle est équipée de son kit mains libres.
Alice : Est-ce que ta mère est là ?
Juliette : Alice, qu'est-ce que tu as ?
Alice : S'il te plaît...
Juliette : Non, elle m'a prévenu qu'elle rentrerait tard. Mais...tu pleures ?
Alice : Ne parle de cet appel à personne, ma Juliette. Bisous.
[FIN]

  Sur son lit, dans la pénombre, Juliette s'inquiète sérieusement pour la juge. Elle ne fait pas de lien entre l'absence de sa mère et la tristesse d'Alice...

  Quand Paul est couché, il ne quitte plus son téléviseur, qu'il allume pourtant si peu. L'œil sur l'écran, il garde son téléphone dans sa main. Jacques veut être le premier à arriver si jamais il arrive quelque chose à sa fille, qu'il aime tel un père...biologique.

Dans sa voiture, en bas de chez Fred, à Paris
  Toutes les lumières sont éteintes. Alice se gare, éteint ses phares, le moteur ne fait aucun bruit, la pluie s'ébat sur son pare-brise, masquant toute sa tristesse. Ses mains glissent du volant et elle se décide à sortir de cette voiture, qui a renfermé sa douleur le temps du voyage. Elle marche si lentement que toutes les gouttes ont le temps de la recouvrir totalement, laissant Alice trempée jusqu'aux os, bien que cela ne la dérange pas.
Prenant son courage à deux mains, elle s'apprête à toquer. Elle effleure la porte de sa main gauche, pour finir par la poignée... Une porte qui renferme tant de souvenirs. Le scénario de Léa avec Paul lui revient en tête... Finalement, Alice n'est pas à sa place ici, mais après deux heures de route, a-t-elle seulement le droit de se défiler ?
Si Fred agit ainsi, cela lui appartient. Et Alice se rend vite compte que rien ne les lie vraiment. Ils n'ont pas de lien de sang, rien en commun, certainement pas une alliance. Elle constate son annulaire, elle avait hésité à se condamner à n'aimer que Mathieu. Grande erreur, qui a vite été corrigée. Et ces larmes, lorsqu'elle a appris que Marquand quitterait la brigade.
Pourquoi avoir vécu tout cela pour finir seuls, chacun de son côté ; lui, refaisant des erreurs du passé, et elle, se morfondant sur sa place de mère et de femme... Quand elle chuchote son prénom, cela lui fait tout drôle. Elle ne parvient pas à le prononcer plus fort pour qu'il entende cet appel, ce cri du cœur.

  Au petit matin, alors que le brouillard s'évapore et que la lune laisse péniblement sa place au soleil, Fred s'extirpe de son appartement.
Il feint de tomber tant sa surprise est grande. Il s'approche d'elle, elle est assise auprès de sa porte.
Il ferme à clé et se précipite auprès d'elle. Alice relève difficilement la tête, réalisant qu'elle s'est oubliée... Elle se relève à l'aide du mur, renonçant à la main que Fred lui propose.
Ils se regardent un instant, Alice réagit et dévale cette cage d'escalier, empruntant le même procédé que Juliette, quelques mois plus tôt.
Fred, agile, tente de la rattraper et se rate deux fois. Elle a presque rejoint sa voiture, mais au milieu du chemin, il l'arrête par le bras.

  Aucun son ne se fait entendre, ni de l'un, ni de l'autre, et Alice, fiévreuse de colère, de honte et de profond chagrin, s'enfuit vers sa voiture une nouvelle fois, alors que Fred la regarde disparaître au même rythme que le brouillard, qui se dissipe au fil du temps.
Enfermée, elle respire : son souffle s'était coupé.
Elle l'observe par la fenêtre de sa voiture...
Il s'éloigne. Aucun d'eux n'a fait d'effort sincère pour retenir l'autre, et Fred et Alice savent très bien ce qui se serait passé s'ils avaient écouté leur cœur...
C'est quand elle démarre qu'il se retourne une ultime fois, délaissant son journal, dont l'importance a disparu depuis qu'il l'a vue.
Le pied sur la pédale, elle craint de faire une bêtise et se dirige vers chez elle, au lieu de prendre la direction "Dijon".

  Quand il se précipite sur ses affaires, qu'il range à la hâte, elle tente de l'en empêcher.
Flora : Qu'est-ce que tu fais ? Fred !
  Il continue et s'arrête brutalement.
Fred : On arrête.
  Elle regarde œuvrer le père de sa fille, avec une larme prête à se lancer sur sa joue s'il n'arrête pas tout de suite. Il se tourne vers elle, parce que tout cela nécessite des explications.
Cette larme, qui ne coule que de son œil droit, rend Fred furieux contre lui. Qu'ont-ils fait ? Et pourquoi s'être tant perdus dans le passé ? Si l'un doit raisonner l'autre, c'est Fred qui prend cette grande responsabilité.
Fred : Je ne sais pas pourquoi on... On n'est plus des gamins, Flora. Toi et moi on s'est séparés parce que ça ne marchait pas. Ce n'est pas la peine d'essayer, on sait où ça aboutira, pourquoi ne pas s'arrêter tout de suite ?
  Elle termine ce qu'il a commencé et, un quart d'heure plus tard, la porte claque, sous la main haineuse, triste et raisonnée de Flora.

Fred : Alice !

  Quand il crie ce nom spontanément, son cœur se serre, parce que ce n'est pas ce qu'il voulait dire, il voulait appeler Flora pour ne pas qu'il se quittent sur un moment pareil.
Alors gêné, il reprend sa vie où elle en était. Il reçoit un appel de Jacques Nevers et décroche, appréhendant une réaction négative de la part de celui-ci.

[Conversation téléphonique]
Fred : Allô ?
Jacques Nevers : Marquand ! Au moins, l'un de vous deux répond !
  Se rappelant de sa première rencontre avec le père d'Alice, il ne sait pas pourquoi, mais il esquisse un sourire qui ne dure pas vraiment longtemps.
Jacques Nevers : Rassurez-moi, ma fille a passé la soirée avec vous ?
  Il préfère mentir pour la bonne cause.
Fred : Oui.
Jacques Nevers : Bien, je peux lui parler ?
Fred : Euh... c'est-à-dire qu'elle est... Elle est rentrée chez elle.
Jacques Nevers : Ça s'est mal passé ?
Fred : Écoutez je ne peux pas vous dire, on... Ne vous inquiétez pas, je vais passer la voir.
[FIN]

  Devant son domicile, il perd peu à peu ses moyens. Au lieu de plonger son regard dans des yeux verts sûrement remplis de larmes mais aussi d'amour, au lieu de s'adresser à un cœur meurtri, il parle à une porte blindée.

Fred : Alice, ouvre. S'il te plaît !

  Ses certitudes se minimisent, Alice se demande si elle a eu raison de verser tant de larmes, si Flora était vraiment chez lui. Après tout, elle se connaît pour souvent imaginer le pire. Mais c'est ce qui l'aide quand elle enquête.

Fred : J'ai besoin de...te parler, Alice. Il faut que tu écoutes ce que j'ai à te dire.
  Elle ouvre sans pour autant lui sourire ni se jeter dans ses bras. Elle reste debout, il s'assoit.
Pendant qu'il parle, il analyse cette Alice à qui il donnerait sa vie en se demandant pourquoi est-ce qu'il n'arrive pas à la choisir définitivement.
Fred : J'ai dit à ton père que tu étais restée chez moi... Il était inquiet et comme je sais que c'est pas facile pour lui...
  Sous le regard noir d'Alice, il tente de garder son assurance, ce qui n'est pas chose facile.
Fred : Quand je suis sorti de l'hôpital, Flora m'attendait. Et...
  Ça y est, Alice est touchée par la vérité à laquelle elle croyait. Elle ne s'est pas trompée. Elle se trompe rarement.
Fred : On est restés ensemble, je ne sais pas ce qui nous a pris, on faisait comme avant la naissance de Juliette...

  Elle se tourne, ouvre la porte et regarde le mur pour éviter tout contact visuel avec lui. Il se lève, comprenant par ce geste qu'il doit sortir. Alice murmure d'une voix brisée, avec le peu de courage qu'il lui reste :

Alice : Tes filles sont inquiètes, elles ne se connaissent pas et redoutent leur rencontre. Tu me diras comment ça s'est passé.

  Il tente une approche mais rien n'y fait, et d'une voix sèche, Alice le salue. Une fois cette porte fermée, elle s'y adosse et glisse tout le long, pour se remettre de tout cela et ne pas se laisser faire : si elle pouvait, elle le rejoindrait, le couvrirait de baisers et lui offrirait son cœur tout entier. Hélas, les choses ne se passent pas comme ça et elle se mord la lèvre pour se retenir de courir vers lui pour le rattraper.

Alice Nevers, juge d'instructionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant