Les enseignements de Gaïa

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 Province de l'émeraude-3161

Syrah se leva peu avant l'aube, elle étira son corps noueux et joua quelques instants avec la terre battue qui s'infiltraient entre ses orteils. Elle avança ensuite à tâtons dans la pièce unique qui constituait la demeure familiale. Au passage, elle effleura le visage de sa petite sœur endormie qui marmonna dans son sommeil.

Sans un bruit, elle sortit de la masure et se dirigea d'un pas tranquille vers la forêt. Elle y retrouva une jolie biche aux yeux noisette et flatta machinalement son flanc à l'étrange marque en forme de demi-lune. Une touffe de poils doux resta entre ses doigts : la mue de son anim'âme annonçait la fin de la période estivale. Bientôt, les premiers frimas de l'automne viendraient les surprendre.

Elle étouffa un bâillement : ce drôle de rêve l'avait encore laissée exténuée. Deux grands iris bleus glacés la poursuivaient et se rapprochaient un peu plus chaque nuit. Elle courait vers eux pour découvrir leur propriétaire, mais se réveillait toujours avant de les rejoindre.

– Bonjour ma douce Zaïra. Bien dormi ?

Le cervidé frotta son museau sur le bras de sa sœur d'âme.

– Hâtons-nous ! La prêtresse Touaraïa n'est pas femme à plaisanter avec le retard.

Les deux âmes liées s'enfoncèrent rapidement dans la frondaison dense et Zaïra guida sa compagne dans la faible lumière de l'aube.

Syrah frissonna quand une bourrasque se fraya un chemin à travers les branches, les matinées étaient fraîches, mais ses vêtements chauds étaient devenus trop exigus pour elle.

Elle se serra contre sa biche et repensa avec amertume à la dernière incursion des guerriers du Lord Voluris dans leur village.

Ils avaient emporté avec eux toute la réserve de laine. Cette denrée rare avait été échangée sous le manteau avec un hameau voisin dont les anim'âmes étaient des moutons. Les bois de leurs cervidés, qui tombaient au printemps, avaient servi de monnaie pour ce troc. Les herbivores pouvaient les utiliser pour faire des ustensiles agricoles ou de cuisines. Leurs provisions auraient dû leur permettre de confectionner assez d'habits pour tout le village, mais c'était sans compter sur la cupidité des seigneurs de la province. Jamais ils ne pourraient reconstituer un tel trésor avant les premiers frimas, aussi Syrah avait-elle renoncé à ce confort et espérait que l'hiver ne serait pas trop rude. Elle se consolait en pensant qu'au moins, sa sœur Thaly pourrait bénéficier de ses anciens vêtements.

Elles arrivèrent en vue d'un petit bâtiment de bois tout en longueur au centre duquel un arbre séculaire perçait le toit. Syrah sortit de ses réflexions, la prêtresse en chef patientait sur le seuil, sa longue crinière blanche et sa robe brune en jute, signe de son appartenance à la caste des esclaves herbivores, flottaient doucement sous l'effet de la brise matinale.

– Syrah, mon enfant. Je t'attendais. Viens me rejoindre.

Obéissante, Syrah s'avança vers la majestueuse chamane et laissa Zaïra paître tranquillement à l'orée de la clairière.

Ses abondants cheveux bouclés qui descendaient en cascade fouettaient le milieu de son dos à chaque ressaut provoqué par son pas, juste au niveau de sa marque en demi-lune. Elle devrait penser à les attacher avant les tâches de sa journée.

– Avant de pénétrer dans ce lieu saint, récite-moi la légende de Gaïa la vengeresse.

Syrah soupira, elle avait froid et le manque de sommeil la rendait renfrognée :

– Mais prêtresse Touaraïa, je la déclame depuis que je suis enfant, ne pourrait-on pas s'en passer ?

– Non, Syrah. Seule la répétition des textes sacrés permet leur complète compréhension. Je t'écoute à présent. Nous avons beaucoup à faire aujourd'hui.

Symbiose - La porteuse d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant