La tête de Syrah heurta le sol et souleva un nuage de poussière qui lui déclencha une quinte de toux.
Le bandeau sur ses yeux glissa pour devenir un collier de tissu rouge autour de son cou.– Tu manques d'attention Syrah. Recommence !
Argo la toisait dans son juste au corps noir. La lumière en contrejour obligea la jeune fille à plisser les paupières.
– Je suis tout ce qui a de plus concentré, Grogna-t-elle en se relevant, le dos douloureux.
– Tellement concentrée que tu viens encore de mordre la poussière... Aller remet ton bandeau, on recommence !
Elle jeta un regard noir à son entraîneur avant de s'exécuter.
Vaghadeva l'observait, nonchalamment allongé sur une des pierres plates du jardin japonais. Zaïra était aussi présente, la tête penchée, elle considérait cet étrange manège avec circonspection.– Ressens la force de ton tigre, l'agilité de ta biche. Psalmodia Argo. Sens par leurs museaux. Entends par leurs oreilles. Ne fais qu'un avec eux.
Syrah se concentra et comme Yuraïa lui avait appris, elle s'abandonna à la Symbiose.
Au fils des semaines, la technique devenait de plus en plus facile et elle n'avait plus besoin de toucher ses anim'âmes pour réussir. Cependant, il lui fallait les avoir à proximité immédiates.
Une déferlante chromatique pénétra dans son champ de vision et une sensation de chaleur la traversa de part en part comme un courant électrique.
Le tourbillon de couleur se stabilisa et elle sentit son corps se soulever pour flotter doucement dans l'air. Devant elle, deux sphères dorées reposaient également en apesanteur et lui envoyaient des ondes bienfaisantes.
Elle avait réussi.
Malheureusement, si elle pouvait à présent entrer en Symbiose sans difficulté, elle ne parvenait pas encore à filtrer le flot d'informations que lui transmettaient en permanence ses deux sœurs d'âmes. Cela lui avait d'ailleurs valu son atterrissage douloureux sur le sol quelques instants plus tôt.
À peine avait-elle atteint l'état de communion souhaitée que sa biche revint à l'assaut et lui envoya un flux continu d'interrogation sur l'étrange combat qui se déroulait sous ses yeux.
Mais cette fois-ci, elle était prête : elle intima l'ordre à Zaïra de reporter ses demandes et lui proféra une petite caresse mentale.
Promis, elles en discuteraient plus tard.
La biche saisit enfin l'importance de cet entraînement et se tut, attentive.Syrah appela alors à elle, les capacités de ses anim'âmes.
Elle inspira profondément et sentit l'air s'emplir d'odeur : le musc de ses compagnons d'âmes, l'acidité de sa propre sueur et celle, plus capiteuse, de son instructeur.
Chaque mouvement lui envoyait une onde de parfum plus ou moins chargée. Chacune d'elle lui parvenait avec une telle précision qu'elle en avait presque une consistance.
Elle se surprit à faire rouler chaque fragrance sur sa langue comme on déguste un bon vin.
L'âpreté de la terre la fit grimacer, alors qu'elle se délecta de la rondeur du vent qui portait les vapeurs sucrées des fleurs de cerisier.
Une carte olfactive de son environnement émergea dans son esprit.
Elle appela ensuite son ouïe :
Elle sursauta presque en attendant la multitude de bruissements qui, quelques secondes plus tôt, lui échappait complètement.Le monde qui l'entourait apparut alors aussi clair, si ce n'est plus, que si elle avait pu s'appuyer sur sa vue ; et si le cheminement intérieur de cette transformation lui avait paru s'étirer à l'infini, dans la réalité, il ne s'était écoulé que quelques secondes.
Elle était prête.
Elle perçut le bruissement du tissu sur la peau d'Argo quand il arma le bras, le frottement infime de son pied qui frôla le sol sablonneux. Son odeur se rapprocha de manière brutale et une amertume tourbée envahit sa bouche.
Cependant, cette fois-ci, elle ne se laissa pas abattre sans réagir. La paume qui devait la cueillir sur le plat de la mâchoire se retrouva brusquement entre les omoplates de son propriétaire. De façon tout aussi soudaine, celui-ci put à son tour goûter aux joies de la pesanteur quand Syrah, pourtant privée d'un sens, la renversa sur le dos avant d'appliquer son talon sur sa trachée.
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Symbiose - La porteuse d'âmes
FantasyIl fut un temps où les hommes vivaient sur la terre comme des parasites et anéantissaient tout sur leur passage. Mais ce temps est révolu. Voilà des centaines d'années, Gaïa, excédée, décida de lier chaque âme humaine à une âme animale. Ainsi les...