les seigneurs

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 Sa corvée terminée, Syrah retrouva son anim'âme et retourna vers le village.

Soudain, elle ressentit une présence et stoppa net.

Elle l'avait déjà décelé à plusieurs reprises durant les semaines précédentes, mais celle-ci se dérobait à sa vue chaque fois qu'elle s'arrêtait pour l'identifier. Une fois, elle avait cru apercevoir un éclat bleu, mais cela avait été si fugace qu'elle avait fini par se persuader qu'elle était simplement obsédée par ses rêves.

Quoi qu'il en soit, ce passager clandestin de ses navettes quotidiennes vers le temple n'inquiétait pas Zaïra. Il n'était donc pas dangereux. Aussi, après un moment, elle oublia cette présence et repartit sans plus d'interrogation.

Dès l'ombre la première demeure franchie, Zaïra s'éloigna pour gambader à sa guise. Syrah la vit rejoindre deux autres cervidés qu'elle identifia comme les anim'âmes de ses parents.

Le faon de sa sœur devait paître dans les parages, mais elle ne le vit pas.

À hauteur de chez elle, elle remarqua sa mère qui puisait l'eau au puits familial. Malgré le poids des années, Syrah la trouvait toujours très belle. Ses cheveux bruns étaient attachés dans un étroit chignon et dégageait son visage fin dont les ridules aux coins des yeux ne suffisaient pas à atténuer la majesté.

Elle contempla encore un instant sa génitrice, puis sauta le bas muret de pierres granitiques sans prendre le temps de pousser le portail rouillé.

Un magnifique sourire illumina le visage de Johanna quand elle aperçut sa fille :

– Ma chérie ! Comment vas-tu ? Qu'as-tu appris avec la prêtresse Touaraïa ?

– Pas grand-chose, soupira Syrah, je désespère de découvrir un jour des réponses à mes questions !

Johanna écarta une mèche folle du front de Syrah et la sermonna avec douceur :

– c'est un grand honneur que la prêtresse t'ait choisi comme élève. Prends patience et montres en toi digne.

– Bien, maman. Répondit Syrah, contrite.

Elle se pencha sur la margelle pour aider sa mère à remonter le premier seau puis accrocha le sien et le laissa redescendre dans le puits.

La corde en chanvre qui mordait la peau de ses mains et l'eau glacée achevèrent de chasser le mystérieux poursuivant de son esprit.

La journée se déroulait toujours selon les mêmes rituels : elle se levait à l'aube pour se rendre auprès de la prêtresse de Gaïa. Quand elle rentrait, elle déjeunait avec sa famille puis chacun vaquait à ses occupations. Ses parents allaient aux champs, sa sœur à l'école. Elle restait à la maison et se consacrait des corvées ménagères, et de menus travaux de réfection.

Elle était également responsable des animaux de basse-cour, car si les hommes herbivores se refusaient à consommer de la viande, leurs maîtres en étaient friands et obligeaient leurs esclaves à élever leur future nourriture.

Elle entama donc sa journée sans enthousiasme, balaya la masure, prépara le repas et s'attela au nettoyage du linge.

Cette même routine immuable laissait à l'esprit beaucoup de temps pour vagabonder et très vite Syrah se surprit à repenser à son rêve. Verrait-elle encore des yeux qu'elle ne pouvait atteindre ce soir ? Où réussirait-elle enfin à comprendre à qui ils appartenaient ?

Soudain, un bruit de moteur se fit entendre.

Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose : l'arrivée des seigneurs-prédateurs.

Symbiose - La porteuse d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant