Fuite

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Hestia essuya d'un revers de la main la grosse larme qui roulait le long de sa mâchoire, elle fixait obstinément l'horizon et refusait de se retourner vers sa famille qui se serrait les uns contre les autres.

Yuraïa avait décrété le départ bien que Syrah ne soit pas rentrée. Il avait lancé Linxhu à sa recherche et malgré les protestations d'Argo il avait déclaré qu'elle avait pris la direction de la province d'Opale et qu'il n'y avait plus de temps à perdre.

Les adieux avec son frère avaient été déchirant, Hestia avait dû desserrer elle-même les petits doigts agrippés à sa longue tunique. Les hoquets résonnaient encore dans sa tête et seule la présence réconfortante de Rhéa et son pangolin, Willem, l'empêchait de s'effondrer.

Le reste du groupe gardait une distance respectueuse avec elle pour lui laisser l'espace et le temps nécessaire pour exprimer son chagrin.
Le voyage durerait près d'une semaine, ils auraient bien le temps de lui témoigner leur soutien.

*

Syrah n'était plus. Son âme se mêlait parfaitement à celle de Zaïra et Vagha, jamais auparavant elle n'avait atteint un tel degré de Symbiose, jamais elle n'avait laissé un tel état primal l'envahir.
Jusqu'ici elle avait toujours ressenti leurs trois sens comme télescopés et légèrement décalés, cela produisait une sensation d'écho étrange et légèrement désagréable.
Aujourd'hui plus question de partager leurs perceptions, ils ne faisaient plus qu'un.

Elle ne sentait plus la fatigue, son pas se déroulait comme si elle était maintenant quadrupède, elle retira ses chaussures pour mieux sentir l'humus sous ses pieds.
Le vent qui s'engouffrait dans ses cheveux emmêlés comme dans les poils de ses anim'âmes créait un délicieux frisson le long de son échine. Elle poussa un cri guttural, elle avait envie de rugir ! Son odorat captait des effluves glacés qui venaient du Nord, l'air iodée de l'Est, L'air humide des rizières du Sud, La chaleur du Désert loin à l'Ouest.

De la terre, des arbres, du moindre brins d'herbe montait des auras brunes qui se déclinaient de l'ocre presque noir au mordoré en passant par le terre de sienne. Sur ce camaïeu de marron, l'or de leurs trois âmes projetait une lumière presque aveuglante bien plus importante que leurs âmes seules. On eut dit qu'une super nova annonçait l'arrivée de la porteuse d'âmes à des kilomètres à la ronde.

Et puis il y avait cette musique : Comment Syrah avait-elle pu vivre toutes ses années dans la forêt sans jamais l'entendre ?

Le cœur de la respiration ample des arbres. Les basses du pas des êtres sur la terre meuble. Le bruit cristallin d'une perle de rosée qui quittait l'extrémité d'une brindille. Le contre point du chant des oiseaux. Un orchestre entier saluait sa présence.

Le monde entier lui appartenait, elle n'avait plus besoin d'être la porteuse d'âmes, elle pouvait être libre enfin et se fondre dans la vie sauvage.

Quand le soleil disparut tout à fait à l'horizon et que les étoiles s'allumèrent une à une Syrah stoppa sa course folle.

Elle s'allongea le long d'un arbre couché, Zaira et Vagha à ses côtés, et fixa le firmament. Ses yeux s'agrandirent sous l'effet de la surprise.

Une pluie d'étoiles filantes embrasait le ciel mais au lieu de tomber, elles montaient de la terre !

Des rouges, des vertes, des brunes, des milliers de minuscules auras sortaient des entrailles de la planète pour se fondre dans la voie lactée.
Syrah se rappela les deux âmes du prédateur et de son anim'âme qu'elle avait vu plonger sous terre.

Gaïa absorbait-elle les âmes avant de les renvoyer veiller sur les générations futures depuis les étoiles ?

Ses pensées allèrent à sa sœur et ses parents, s'il lui arrivait malheur saurait-elle reconnaître la lumière de l'âme de sa sœur et de son faon parmi les centaines d'autres ?

Symbiose - La porteuse d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant