Un lundi matin comme les autres pour les Parisiens : un lundi froid, silencieux, ennuyant, morose, rien de plus banal pour eux. Un lundi matin vide de vie, terne et glacé pour un Irlandais, rien de plus déprimant pour lui. Ce qui le surprit, c'était de constater cette routine barbante, à travers chaque visage, il ne pouvait distinguer une diversité, si ces têtes d'enterrement étaient naturelles ou bien exagérées... Décidément, les fins fonds de Paris le surprendront toujours. Bienvenue dans le métro, Luiseva.
A gauche se tenait une femme qui bouquinait, debout, une main agrippant la barre métallique pour garder un certain équilibre, l'autre maintenant fermement le livre. Il devait contenir au moins deux cents pages. Elle en était presque à la moitié, cela voulait probablement dire qu'elle devait le dévorer tous les matins. Cette femme semblait très concentrée, elle était plongée dans sa lecture, on aurait même l'impression qu'elle raterait son arrêt, mais non ; dès que le nom de la station fût annoncé, la demoiselle se redressa, ouvrit la porte puis disparut. Sans même adresser un regard à qui que ce soit, ni un « pardon » pour éviter que les portes ne se referment sur elle et qu'elle doive supporter cinq minutes de plus, compressée entre toutes ces personnes respirant la joie de vivre et l'ambition à cause de flemmards irrespectueux... Comme si cette personne était habituée à cette situation.
A droite se présentait un homme, pas très vieux, il devait avoir la vingtaine, il avait un casque audio sur la tête. Il était sur son portable, les jambes croisées. On a tous déjà croisé un homme comme ça au moins une fois dans sa vie, et pas que dans le métro : grand, le visage hirsute, un bonnet et une paire de lunettes. Brun, de préférence. Alors que le jeune Luiseva était à la recherche d'une trace de joie autour de lui, la belle Gemma se mit en travers sa découverte avec le monde.
- Arrête de fixer tout le monde comme ça, marmonna-t-elle d'un ton presque menaçant, comme le ferait une mère à son fils.
- Mais, pourquoi... ?
- Parce qu'ils vont croiser ton regard, mémoriser ton visage, et une fois qu'ils nous identifieront et que nous serons recherchés avec nos vrais noms, quand ils se remémoreront ton visage, ils sauront que nous sommes ici et pas ailleurs.
L'Irlandais baissa la tête, honteux. Bien que le wagon soit plein, il ne savait plus où se mettre. Elle avait raison. Il prit en compte son erreur, c'est pour cela qu'il ne prit pas la peine de s'excuser, car en regardant ses pieds comme un enfant, son interlocutrice n'avait besoin de rien d'autre. Lèvres scellées, il opta, une fois de plus, pour la passivité. Il continua de contempler le décor avec plus de discrétion. La Française leva les yeux au ciel et laissa échapper un léger soupir qui présageait l'agacement, ce que le blond parvint à entendre malgré lui.
Elle a tenu dix minutes sans râler. Il était davantage gêné. Il n'osait pas vérifier si des éventuels spectateurs avaient assisté à la scène.
- Dis, pourquoi on est là, exactement ?
- On a besoin de faire les courses. Einsam a bouffé toutes les réserves.
- Mais, il avait plein d'épiceries en bas.
- T'es con ou tu le fais exprès ? Si on nous voit toujours au même endroit, ils sauront où on se situe exactement.
- Pardon, je ne voulais pas t'énerver encore une fois...
Étrangement, elle sourit. Un beau sourire dégoulinant de fierté repeint ses lèvres.
Un blanc s'installa, il prit silencieusement place et dévisagea les deux protagonistes. Il attendait patiemment que les choses se passent, et il disparut lorsque les portes du wagon s'ouvrirent pour laisser filer les concernés ainsi que quelques spectateurs. Luiseva semblait soudainement soulagé, puis, sans qu'il s'y attende, son acolyte se tourna brusquement vers lui en lui collant son écran de portable au nez. Son expression a changé. Il sentait déjà la crise de nerfs approcher. Il serrait déjà les poings, déjà prêt à prendre sur lui.
- Je me suis renseignée, la prof d'allemand organise un voyage scolaire à Paris dans peu de temps. Tu le savais, toi ?
- ... Non ! Je ne sais rien d'elle, elle ne m'intéresse pas...
- Si j'apprends que tu me mens, je te coupe ce qui t'a permis d'être en extase au moins une fois dans ta vie avec une scie circulaire. T'as compris ?
- Oui... Promis... finit-il par sortir après avoir difficilement avalé sa salive.
- Ils visiteront tous les grands monuments de la ville, ils passeront forcément pas loin de chez nous. J'espère que tu vois où je veux en venir, dit-elle avec assurance, laissant son doigt glisser sur son écran, sans prendre la peine d'adresser un regard à son ami.
- Bien-sûr...
- Et dis-moi, Oxymore est vraiment attiré par elle ? Ou ce sont des conneries que vous vous amusez à dire pour l'énerver ?
- Il nous parle souvent d'elle, et vu le nombre de fois où il a réellement parlé... Je ne sais pas si c'est simplement de la fascination ou de l'attirance... Je n'écoute pas trop ce qu'il dit sur elle...
- Et pourquoi ? Pourtant tu es plutôt proche de lui, je dirais même que tu es privilégié. Tu ne l'écoutes pas dans ce genre de moment parce que tu es jaloux ?
- Loin de là... Parce que je trouve qu'il perd son temps...
- Tu admets donc qu'il lui court après, que c'est plus de l'attirance qu'autre chose.
- Arrête de déformer ce que je dis !
- Tu te mets à crier, maintenant ? Tu prends des initiatives.
- Non, désolé...
- C'est fou, Luiseva, tu mens, mais tu dis la vérité en même temps. Avant, tu étais si honnête que tu ne parlais jamais. Maintenant que tu as signé un pacte avec le diable qu'est Oxymore, tu mens en permanence... Tu as changé, tu sais. Je suis assez déçue de toi. Non seulement je sais qu'il est attiré par cette femme, mais je sais également que mentir est désormais ton domaine. En revanche, tu mens très mal, c'est embêtant, ça. Le mensonge ne te va pas au teint, tu es tout rouge.
Elle se tut un moment, jeta quelques regards de gauche à droite puis s'éclipsa, abandonnant le grand timide l'instant de quelques secondes. Il était perdu, pour ne pas changer. Entre l'embarras et la peur, il ne savait pas lequel des deux triompherait en premier.
Un hurlement strident retentit sur le quai, ce qui alarma la plupart des témoins, mais pas assez pour éveiller leur curiosité et les pousser à découvrir la nature de ce cri de douleur. Une agression, un vol, une mauvaise chute, voire un meurtre ? Cela leur était égal. C'était chacun pour soi. Les Parisiens sursautèrent, se retournèrent puis vaquèrent à leurs occupations qui n'étaient pas déjà très divertissantes.
C'est une Gemma en sang qui vit le jour. Une Gemma maculée de sang et de larmes qui se jeta dans les bras du jeune homme qui fût encore tétanisé par ce cri. Peu importe si ses vêtements étaient tachés d'eau ou de rouge, ses cordes vocales étaient incapables de fonctionner, tout comme le reste de ses membres. Il était perdu. Tandis que le choc commençait à se dissiper, les murmures de son interlocutrice étaient dignes d'une lame sous sa gorge, ou d'un revolver contre sa tempe.
- Quand je dirai à Oxymore que c'est toi qui m'as fait parce que tu es aussi attiré par madame Becker et que j'ai osé en parler, on verra lequel de nous deux ment le mieux.
Elle lui adressa un clin d'œil et reprit ses larmes faussées, tout en serrant ledit agresseur dans ses bras.
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Oxymore
FanfictionOxymore, jeune surdoué psychopathe aux lubies étranges. Sin, redoublant homosexuel, jaloux, possessif et borné. Opium, cadet toxicomane, solitaire et discret. Einsam, rat de la bibliothèque, intimidé depuis son entrée dans sa première école, fils un...