Dans la peau d'un loser.

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SUMMER 78 - Yann Tiersen.



Non.



Non, je ne voulais pas y aller, pas encore une fois, je me suis rendu là-bas assez de fois. Je ne voulais plus, c'était trop pour moi. Je restais enroulé dans ma couverture épaisse, à regarder à travers mes yeux mi-clos la fenêtre qui donnait vue sur une petite forêt qui cachait le lever du soleil. Je voyais ces nombreux oiseaux prendre leur envol, je les entendais gazouiller à plusieurs, incessamment. Je me tournai une nouvelle fois, faisant cette fois-ci, face à ma porte, ma porte que je voulais savoir bloquée pour ne pas avoir à sortir de ma chambre. Du coin de l'œil, je vis mon réveil afficher l'heure habituelle à laquelle je devais me lever, et je priais pour que ça soit mon imagination qui me joue des tours et que finalement, celui-ci affichait une heure du matin, quelque chose dans le genre, mais non, ce fût trop beau pour être vrai.



J'étouffais de ces heures scolaires interminables et ennuyantes, de ces professeurs dépressifs qui expliquent leurs cours avec mollesse, de ces élèves irritants qui racontent comment s'est déroulé leur week-end, leur journée de la veille, ce qu'ils ont acheté, qui ils ont vu, ce qu'ils ont fait, de ces autres élèves écervelés qui passent leur temps à se moquer de moi, juste parce que je suis timide et maigre. J'en avais marre de l'école, des lieux publics, il y avait toujours ce genre de personne qui me faisait perdre foi en l'humanité. Je souhaitais secrètement que mon coussin se jette sur moi et m'étouffe jusqu'à ce que la mort s'ensuive, que mon lit se retourne miraculeusement et m'écrase, qu'une horde de voyous surgisse de nulle part et me batte à mort, qu'ils me tirent dessus ou me jettent par la fenêtre, je m'imaginais un tas de choses irréelles, et même si elles étaient improbables, j'avais cette petite lueur d'espoir qui me disait que j'avais quand même une chance que cela arrive. Mais bon, l'espoir fait vivre, c'était peut-être la raison de mon existence. Sans enthousiasme, je sortis enfin de mon lit qui réclamait déjà mon corps, ce qui était réciproque, je traînai des pieds vers ma salle de bain, là où j'ai passé un bon moment à me rincer le visage jusqu'à ce que je sois bien réveillé et puisse encaisser d'avance ce groupe d'enfoirés qui passe son temps à plonger ma tête dans les toilettes peu entretenues du lycée... Disons que je me mettais déjà dans le bain.




Tous les jours, c'était la même chose: de lourds regards portés sur ma personne, ces yeux qui me regardaient de haut en bas, ces messes basses qui, forcément, me concernaient, ces petits ricanements qui tentaient de se faire discrets un minimum, ces crachats atterrissant sur mes chaussures, ses insultes jetées à la figure, ses menaces me faisant désagréablement frissonner. J'en avais marre, de cette vie, de ces imbéciles qui se pensaient tout permis. Tous les matins, j'avais les filles qui me poussaient et m'enfermaient dans les toilettes des filles, certaines qui disaient que j'ai tenté d'en violer une, et j'ai été d'ailleurs été renvoyé temporairement du lycée à cause de cela.




Une jeune fille avait sorti un préservatif de son tiroir, puis jouait avec, une fois lassée, elle l'avait jeté dans la cuvette, mais avait tout simplement jeté l'emballage à la poubelle ; et apparemment, le père avait dû bien regarder pour le trouver... Sous la panique, elle avait dit que c'était moi qui l'avait violée, et comme j'étais un homme sans histoire jusqu'à maintenant, tout le monde l'avait crue, même mes parents, ils m'avaient frappé un bon nombre de fois, je ne comptais plus le nombre de larmes que mon petit frère avait versées pour moi, horrifié par ce spectacle s'offrant à lui tous les jours, il ne supportait plus de me voir toujours blessé, par les parents tout comme les élèves. Le lundi, œil au beurre noir, le soir, une dent cassée, le mardi, une côte brisée, le soir, des mèches arrachées, le mercredi, ils n'étaient pas là, le jeudi, hématomes, le soir, œil endommagé, le vendredi, jambe cassée, le soir, jambe encore plus abîmée, le week-end, je partais loin d'ici. Mes propres parents me détestaient au plus haut point, et maintenant qu'ils ont su que j'étais innocent, ils me traitaient comme un vrai prince... Ils me servaient le petit déjeuner au lit, me réveillaient de temps en temps, avec tendresse, m'accompagnaient à l'école lorsqu'ils pouvaient... Mais toutes ces petites attentions ne parvenaient pas à me faire oublier tout ce que j'ai pu endurer à la maison, même mon petit frère n'arrivait pas à pardonner à mes parents de m'avoir fait ça. Il a vécu dans la peur et la violence, rien de plus traumatisant pour un enfant. 

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