Jodie avait fermé les yeux. Elle reposait sa tête contre le mur, ses jambes glissèrent lentement jusqu'à être allongées ; c'était tout son corps qui se détendait. Qu'est-ce qu'elle avait mis dans ses oreilles ? A quoi ce petit appareil servait, finalement ? J'aurai voulu le lui demander. Mais ... Je crois que j'en avais assez fait pour aujourd'hui. En fait ... Je réfléchissais à sa réaction lorsque je m'étais approché d'elle. Elle s'était reculée. En vérité, j'avais cru revoir son attitude face aux contrôleurs. Avait-elle ... Peur de moi ? Cela me paraissait tellement étrange. On a peur de ce qui est dangereux, non ? Étais-je dangereux ? Non ... Je ... Je n'avais jamais voulu lui faire du mal, et je ne comptais certainement pas lui en faire. Jamais. Alors pourquoi ...? Les humains sont-ils réellement si déraisonnables ? Je ne devais pas connaître tout ce qui pouvait déclencher la peur. En tout cas, je savais maintenant qu'il ne fallait pas que je m'approche trop brusquement d'elle. Je réfléchissais aux potentielles raisons qui l'avait poussée à agir de la sorte ; aussi bien de mon côté que du sien. Je pensais ... Elle devait être toujours sous le choc de cette journée. Je suppose qu'un changement de réalité ne devait pas être évident. Oui, elle devait être tellement tendue ... Je m'en voulais à présent de l'avoir effrayée si irresponsablement. Je comptais faire attention à ce que je faisais, à partir de maintenant. Je la regardai : elle avait toujours les yeux fermés, et il me sembla discerner un sourire sur son visage éreinté. Oui, elle souriait. J'étais heureux ; elle serrait l'objet que je lui avais rapporté dans sa main. Qu'est-ce qui pouvait la rendre si bien ? Je pense ... Que le simple fait d'avoir pu emporter avec elle un souvenir de sa vie passée devait être soulageant. Peut-être que ça ne signifiait rien, mais elle en avait besoin.
J'avais tellement envie de lui parler. Mais que lui dire ? Je ne connaissais aucun sujet de conversation. De plus, j'étais visiblement en trop, dans cette scène de retrouvaille. Alors, je détournai le regard, et me remis à fixer l'eau qui coulait paisiblement en face de moi. J'essayai de savoir si nous devions être le soir, la nuit peut-être ...? Moi, je me fichai de ne pas avoir la notion du temps qui passe. Mais maintenant que j'étais avec un humain ... Maintenant que j'étais avec Jodie, il fallait que je sois capable de nous guider. Elle avait l'air si perdue ... Jodie, Jodie ... Ce nom sonnait bien. Cela devait être un beau prénom, et il lui allait à merveille. Je retournai le visage vers elle. Oui, elle ne pouvait pas s'appeler autrement. Ses parents avaient dû le choisir avec beaucoup de soin. Cela devait être tellement ... Agréable, de savoir qu'il y avait quelqu'un pour dire notre nom. C'était le cas de tout les humains, ça leur donnait une identité, une vie. Et aujourd'hui, c'était mon cas aussi. J'étais si heureux. "Avril"... Pourquoi, "Avril" ? Je ne sais pas. Mais ça avait été tellement ... tellement agréable, de l'entendre. C'était mon nom. C'était comme ça que je m'appelais. J'aurai voulu le dire au monde entier, mais je me rappelai qu'il n'y avait plus personne pour l'entendre. Le monde était mort. Mais elle, elle était en vie, et là, juste à côté de moi. Jamais je ne la laisserai mourir. La vie est si précieuse, je le sais, mais elle est aussi si fragile. Je ne sais pas de quoi j'étais capable, mais je comptais faire ce que je pouvais.
Je regardai de nouveau l'eau devant moi. C'était étrange, cette sensation, lorsque l'on sait que quelqu'un est près de nous. J'aurai voulu être plus près, mais il ne le fallait pas, Je le sentais. En réalité, je comprenais que j'étais indésirable pour l'instant. Je ne savais pas ce que je pouvais bien faire pour changer ... Je suppose que j'allais laisser le hasard me guider, comme je l'avais toujours fait. Je ne suis même pas sûr d'être capable de changer.
Aujourd'hui, j'avais ressentis ce que jamais je n'avais cru possible. Tellement de choses se passent dans nos corps, nos cerveaux, nos esprits, nos ... Cœurs. Je l'avais senti battre, aujourd'hui, le mien. J'étais en vie. Je bougeai un peu afin de regarder mes mains. Je pliai mes doigts, les dépliai, les repliai. J'existai. J'avais tellement envie, simplement, d'exercer ... l'existence. Je le pouvais, aujourd'hui, ce don m'avait été fait. Rien ne pouvait m'empêcher de vivre. J'entendis un bruit à ma droite : Jodie se baissa, posa ses coudes, plia les jambes et posa son dos contre le sol. Elle ouvrit les yeux un instant, allongée, puis les referma. Elle posa sa tête contre sa main, celle qui ne tenait pas l'appareil vert. Elle avait toujours ses choses dans les oreilles, qui l'apaisaient. Je me dis que ça serait bien si elle arrivait à dormir. Avec un minimum de sommeil, de la nourriture, et elle serait rapidement en forme. D'ailleurs, ça avait été étrange, sa réaction en goûtant la mixture. Je ne sais pas, peut-être que le goût était plus développer chez les humains ? Après, je n'avais jamais rien mangé de plus que ce que je trouvais dans les villes. Peut-être ... Peut-être que dans le faux monde la nourriture était différente. En fait, d'après la réaction de Jodie, c'était presque sûr que c'était le cas. J'aurai bien voulu goûter, une fois, autre chose que ce que préparent les machines pour les Hommes. Ça n'arrivera sans doute jamais, puisqu'il n'y a plus d'aliments comestibles sur la Terre. Du moins, je n'en ai jamais vus. De plus, l'autre côté m'était inaccessible, puisque je ne possédais pas de port dans ma nuque.
Je jetai un coup d'œil a Jodie. Tout son corps était relâché, son souffle était lent; elle s'était endormie. Quel soulagement. J'avais bien fait de lui amener cet appareil, je ne sais pas ce qu'il lui faisait, mais l'important, c'était qu'elle arrive à récupérer. Mais, un instant plus tard, elle se recroquevilla sur elle même, et se mit à trembler doucement. Qu'est-ce qui lui arrivait ? Je sais que ça ne lui aurait pas plu, mais je me rapprochai d'elle. Je l'examinai un moment. Elle avait l'air dérangée par quelque chose. Que faire ...? Je posai une main contre son bras nu. Elle était glacée. Elle devait avoir froid. J'attrapai à bout de bras mon sac, et cherchai la couverture que j'avais récupérée quelques heures auparavant dans la maison où nous nous étions arrêtés. Elle était assez épaisse et volumineuse; je n'eus pas de mal à la trouver. Je la sortis, la dépliai, et recouvrai doucement son corps avec. J'espérai que cela lui suffise ... De toute manière, je ne pouvais rien faire de plus. Je la regardai. Oui... Je n'avais plus besoin de m'imaginer ce que je pouvais posséder, puisque je n'avais besoin de rien d'autre que de la vie.
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Light Out
Science FictionJe ne peux plus me figurer combien de temps j'ai marché dans ces terres mornes et désolées. Les derniers êtres vivants sont enfermés dans les villes. Je ne sais pas ce qu'ils voient à travers leurs appareils, mais j'espère pour eux que c'est un mond...