25. Katarina

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Assise à la terrasse d'un bar avec Soline et Camille, je sirote un diabolo après une nouvelle journée intense. Le premier samedi des soldes est toujours éprouvant. Comme nous y avons brillamment survécu, So a proposé de fêter la fin de cette semaine de dingue en sortant entre filles.

Évidemment, Thomas n'a pas été conviée, cette vieille toupie aurait encore plombé l'ambiance.

Alors que Cam repose sa bière après l'avoir descendue d'une traite, elle s'abandonne lourdement contre le dossier de sa chaise puis, à l'aise, lâche un gros rot qui me laisse sans voix. Mais à la place d'être dégoûtée ou gênée, comme certaines personnes le seraient dans cette situation – car à présent, on nous dévisage, et pas de la plus belle des façons –, je m'en fous complètement. Au contraire, j'ai presque du respect pour elle dans le sens où elle se moque totalement de ce que pensent les autres, et dans un monde perpétuellement focalisé sur l'apparence et où le paraître prime sur l'être, c'est une bouffée d'oxygène. Un bras d'honneur aux convenances.

Bon, tant qu'elle ne me demande pas de tirer sur son petit doigt, on restera potes.

— Ça vous dit qu'on finisse la soirée en boîte ? propose alors Soline qui, après avoir buggé quelques secondes sur l'exploit de notre nouvelle collègue, a réussi à remettre son cerveau en marche.

— Franchement ? J'ai envie de dormir, avoué-je en retenant un bâillement, même si l'idée d'aller danser me tente.

Mes jambes sont lourdes et mes paupières aussi. Regagner le confort de mon lit ne m'a peut-être jamais semblé plus attrayant qu'en cet instant.

— Ne fais pas ta lâcheuse, Kat. Viens au moins un peu, histoire qu'on passe un bon moment entre filles !

Comment dire non sans paraître rabat-joie ?

Une heure plus tard, je me retrouve dans un club en train de bouger avec mes deux collègues.

Je me sens bien.

La fatigue a reflué, mais je sais qu'elle me retombera violemment dessus dans quelques heures.

Tandis que je remballe gentiment un gros lourd bien trop tactile, je ne peux m'empêcher de songer que c'est incroyable le nombre de mecs insistants que l'on croise en boîte. Ils sont là, à se coller à nous et à frotter leur entrejambe contre n'importe quelle partie de nos corps, espérant nous convaincre de finir la soirée avec eux. Est-ce vraiment de cette manière qu'on séduit une femme en 2017 ?

Au bout de quelques morceaux, lasse de danser, je décide de retourner boire quelque chose à notre table.

Arrivent au même instant les amies de Pétronille, Nicole, Céline et Tiphaine, sans ma coloc. Quand elles se plantent toutes les trois devant moi, aussi raides que des piquets, je comprends que je vais devoir leur rendre des comptes alors que, bordel, Pét n'a qu'à bouger son cul pour me demander elle-même des explications. À la place, elle se contente de faire la gueule depuis des jours comme une ado de quinze ans.

Inutile de préciser que notre colocation est devenue épique ces derniers temps : personne ne se parle et tout le monde s'évite.

— Katarina, commence Nicole en me toisant avec hostilité.

Il y a comme un parfum d'embrouilles dans l'air.

— Nicole, rétorqué-je sur le même ton froid.

— Je crois qu'on a un problème.

Céline et Tiphaine l'encadrent, une expression narquoise sur le visage. L'espace d'un instant, je me sens en plein remake d'une série américaine, quand la reine du lycée, flanquée de ses deux copines dédaigneuses, intimide la coincée mignonne qui s'ignore, coupable d'avoir fait tourner la tête du bad boy. Bon, je ne suis pas une coincée mignonne qui s'ignore, cependant le résultat est le même.

— Le problème, c'est que vous vous mêlez d'une histoire qui ne vous concerne pas et dont vous ne savez rien.

— Quand un mec dit à sa copine devant témoins qu'il l'a trompée, il n'y a pas trente-six façons de l'interpréter.

— Sauf si le mec en question est un joueur manipulateur.

Il est très difficile de s'entendre avec le son de la musique et se hurler dessus pour échanger quelques mots est particulièrement désagréable.

— Je veux bien t'expliquer la situation, même si je n'ai pas à le faire, par considération pour Pétronille. Mais tu lui diras quand même que si elle avait des questions, elle n'avait qu'à venir me les poser elle-même au lieu de m'envoyer ses copines !

Nicole acquiesce avant de conclure :

— Allons dans le coin fumeurs.

C'est ainsi que nous nous retrouvons isolées toutes les deux, Nicole et moi. Céline et Tiphaine sont retournées auprès de Pétro qui, comme la gamine qu'elle est, n'a même pas eu le courage de venir m'affronter. Franchement, je commençais à l'apprécier, mais en ce moment, elle est vraiment pitoyable.

Je respire avec un plaisir certain les vapeurs de nicotine que la grande brune me balance à la figure. Rien de plus sympa que le tabagisme passif.

— Tu devrais arrêter la clope, ça donne une haleine de chacal, ce truc-là. Un de mes ex fumait, et c'était terrible. Quand il me parlait trop près du nez, j'avais l'impression de sentir la litière de mon chat.

Nicole me lance un coup d'œil agacé, mais elle prend aussi conscience qu'elle m'asphyxie et se décale, m'évitant ainsi d'inhaler son tabac.

Nous nous mettons alors à discuter, et je lui raconte ce qu'elle tient tant à savoir.

— Donc, tu es en train de me dire que tu ne t'es pas retapé Grégoire depuis la fin de votre relation, il y a...

— Quatre ans, oui.

— Pourquoi tu n'as rien dit à Pétronille quand tu l'as croisé chez toi ? Ça a dû te choquer de le retrouver dans ton appart, non ?

— Évidemment, d'autant plus qu'il m'a prise pour une conne pendant toute notre histoire. J'avais des cornes de gazelle sur la tête.

Nicole rit pour la première fois depuis que nous nous sommes isolées.

— Bref, j'ai décidé de ne pas en parler à Pétro parce que les gens changent. Quand nous étions ensemble, nous venions à peine d'entrer dans l'âge adulte. À présent, nous sommes plus matures. Je ne pouvais pas risquer de gâcher leur relation sans savoir comment Grégoire avait évolué. En plus, j'ai estimé que la vie sentimentale de ma coloc ne me regardait pas.

— Elle est quand même devenue ta pote, non ? rétorque Nicole.

— Oui, c'est vrai. J'admets que j'ai peut-être eu tort de ne rien lui dire.

Nous échangeons encore un moment nos points de vue. Étrangement, la jeune femme n'est plus du tout agressive avec moi, contrairement à ce à quoi je m'attendais. Elle cherche simplement à obtenir la vérité. Quand nous avons fait le tour de la question, le souvenir du texto me revient en mémoire.

— Une dernière chose, lui dis-je en fouillant dans mon téléphone.

Je déniche rapidement le message puis lui tends mon portable afin qu'elle le lise.

— Tu peux recopier le numéro et vérifier dans le répertoire de Pétronille. À mon avis, c'est le même, à moins que Grégoire ait une autre carte SIM. De mon côté, je n'ai pas le moindre doute. J'ai reçu ce texto juste après que ce connard ait foutu le bordel dans ma vie, et je reconnais sa patte.

— Excuse-moi, mais comment a-t-il pu avoir ton numéro si vous ne vous êtes pas revus depuis un bail ?

— Il l'a probablement récupéré dans le téléphone de Pétro, je ne vois pas d'autre explication, car j'ai changé entre-temps.

Elle hoche la tête. J'ignore si elle est convaincue ou non, mais au moins, j'ai pu tenter de rétablir la vérité. Maintenant, les filles penseront ce qu'elles voudront, ce n'est plus mon problème.

Alors que j'ai un geste pour retourner à l'intérieur, Nicole m'interrompt en me posant une ultime question :

— À quoi il veut jouer ?

Je la regarde par-dessus mon épaule et lui réponds simplement :

— À manipuler et à blesser. Comme il a toujours aimé le faire.

DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant