DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )

37, Katarina

Assise derrière le bar, sur le sol de la cuisine, appuyée contre la porte d'un placard, Gips allongée sur mes cuisses, j'attends le moment où j'aurai une illumination.

Dès que Grégoire est parti, j'ai fouillé l'appartement en vitesse par acquit de conscience – ma chambre, le salon et la salle de bains en particulier – à la recherche de caméras ou de micros. Rien, il a tout retiré avant de dévoiler son jeu. Évident.

L'ombre de cet homme que j'ai aimé un jour semble encore planer dans la pièce. De toute ma vie, je n'ai jamais eu autant l'impression d'être à sa merci, même quand nous étions toujours en couple. La colère bout en moi. Je me sens piégée. Pour l'instant, j'ai accepté de « jouer » dans le seul but de gagner du temps, mais il me faut trouver une solution, et vite. Je songe à laisser Johan et Pétronille sortir de ma vie, me pliant ainsi aux règles de Grégoire pour qu'il les épargne. Cependant, la perspective de les faire souffrir tous les deux m'est insupportable. Est-ce présomptueux de ma part de craindre que mon rejet puisse avoir un impact sur Johan ?

Je pense également à lui révéler ce qui s'est passé ce soir, expliquer que mon ex a placé une caméra dans ma chambre et qu'il envisage de se servir de ce qu'il a vu et entendu pour lui nuire. Mais je redoute les conséquences que cela pourrait avoir sur sa santé. Johan maigrit, je m'en aperçois bien. J'ai un peu fouiné sur Internet ces derniers jours, l'anorexie touche aussi les hommes. J'ai visionné des images horribles, des corps décharnés, cadavériques. J'ai lu qu'ils pratiquaient le sport à outrance, qu'ils bannissaient des aliments, cuisinaient beaucoup et regardaient les autres manger, mais ne mangeaient pas eux-mêmes, prenaient des médicaments pour éliminer la nourriture, que certains se faisaient vomir, qu'ils cherchaient à se cacher dans des vêtements amples, et tant d'autres choses. Tout ça m'a tellement effrayée.

Mais dois-je pour autant décider à sa place ? Lui mentir afin de l'épargner ? Je doute qu'il apprécie...

Et puis, quel que soit mon choix, rien ne me garantit que Grégoire ne balancera pas quand même à la presse l'histoire de l'agression sexuelle de Johan et des infidélités de sa mère lorsqu'il aura obtenu ma coopération. Ce serait la cerise sur le gâteau pour lui, il se sentirait tout-puissant.

Je suis toujours en train de ressasser quand la porte d'entrée s'ouvre brusquement.

Ma chienne se lève d'un bond et disparaît de ma vue pour accueillir Johan avec effusion. Il lui parle, ignorant que j'écoute chacune des niaiseries qu'il prononce, puis son pas s'éloigne en direction de la salle de bains. Dans le silence de l'appartement, je perçois nettement tous les sons. Il se brosse les dents.

Quelques minutes plus tard, je l'entends revenir vers moi. Quand Johan allume et me découvre avachie derrière le bar, ses sourcils se froncent, et une expression inquiète déforme ses traits.

— Kat ?

— Ouais ?

— Qu'est-ce que tu fais dans le noir ? Ça ne va pas ?

Plus un bruit, sinon le ronronnement du réfrigérateur près de nous.

C'est le moment de lui dire la vérité. Après ce sera trop tard, et je refuse de reculer.

— Il faut que je te parle. Tu devrais t'asseoir.

Johan fronce davantage les sourcils, perplexe, mais il obéit sans rechigner puis s'installe à la table de la cuisine. Je me lève et prends place en face de lui, choisissant cependant de rester debout, les mains appuyées sur le dossier d'une chaise.

— Grégoire est passé me voir ce soir.

— Et ? demande-t-il avec une pointe d'agressivité.

— Il avait planqué un micro dans ma chambre. Il... il a entendu tes confidences.