11. Johan

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La capuche de mon sweat-shirt rabattue sur la tête pour me protéger des gouttes, je cours dans les rues détrempées de Nice. Une odeur de pluie emplit l'atmosphère, elle a ce parfum particulier des averses estivales. Un mélange de chaleur et d'humidité.

J'accélère mes foulées, encore, poussant mon corps dans ses retranchements. Chaque jour, je rallonge la distance de mon parcours pour empêcher mes muscles de s'habituer. J'ai besoin d'avoir mal, de sentir mon cœur s'emballer, mes poumons me brûler et l'acide lactique se répandre dans mes jambes. La douleur me rappelle que j'existe.

Que je suis vivant.

Et c'est moi qui la contrôle.

Qui contrôle tout.

Et je n'aime rien plus que ça.

En général, courir m'aide aussi à me vider la tête. Sauf qu'aujourd'hui, ça ne fonctionne pas, mon putain de cerveau s'est ligué contre moi. Il ne cesse de m'envoyer des images qui éveillent en moi trop de sensations contradictoires, impossibles à identifier.

Je la revois, acculée contre la porte d'entrée, son corps prisonnier du mien. Le sursaut qu'elle a eu quand ma paume s'est aplatie sur le battant, faisant trembler le bois sous le choc. Pour la première fois depuis notre rencontre, je l'ai sentie perturbée.

Et moi, je ne me suis pas reconnu. Qu'est-ce qui m'a pris ?

Elle a raison quand elle dit ne pas correspondre à mes critères de beauté. J'ai toujours aimé les filles très minces avec des hanches étroites, des jambes longues et fines. Des mannequins, quoi.

Katarina n'a rien à voir avec ce genre de femmes. Elle est voluptueuse, même si elle n'a pas beaucoup de seins. En revanche, sa taille est marquée, ses fesses sont rondes et ses cuisses musclées. Avant de la voir en tenue de sport, j'imaginais son corps gras et flasque, car dans mon esprit, posséder des formes et avoir une silhouette tonique était tout simplement incompatible. Je la jugeais faible, me disant qu'elle ne faisait aucun effort pour se contrôler.

Sauf que je me suis totalement planté, et ça me rend dingue de devoir l'admettre, mais je la trouve... fascinante. Et il est inutile de chercher à me mentir puisque le seul fait de l'avoir bloquée contre la porte a réveillé une partie complètement oubliée de mon anatomie. Je ne me souviens même plus de la dernière fois où j'ai éprouvé du désir. Parce que ça fait des mois que je le croyais mort.

J'accélère le rythme pour repousser mes pensées. Les verrouiller dans un coin obscur de mon cerveau où les étouffer enfin.

Et je continue de fuir.

Cependant, j'ai beau courir, je suis incapable d'échapper aux voix des sirènes : elles me suivent partout.

Une ombre dans mes pas.

Moi, en équilibre sur une corde raide en train de céder.

Je suis coincé avec des sensations que je ne veux plus éprouver. Je refuse d'être à nouveau trahi par mon corps. Et pourtant, que ce soit avec elle ou avec ce qui me tourmente le plus, il manifeste ses envies à l'encontre de mes souhaits.

Je me laisse trop aller, il faut absolument que je garde le contrôle. Sauf que j'ai tout à fait conscience de le perdre.

Mon apport quotidien en calories est trop élevé, je mange trop, ne cours pas assez, et donc, ne perds plus un gramme.

Pourtant, chaque fois que j'arrive à sauter un repas, je me sens bien, léger...

Je me rapproche de la perfection.

Malheureusement, il y a toujours un moment où je craque, et je finis par me gaver jusqu'à en avoir mal au ventre. Alors j'ai honte de moi, je culpabilise, et les mêmes blâmes, obsédants, reviennent tourner en boucle dans ma tête.

DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant