68. Katarina

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Après la consultation, nous sommes allés acheter quelques habits et des runnings. Johan étant parti sur un coup de tête, il n'a pris aucun rechange. Ensuite, nous avons fait des courses en vitesse.

Tout le temps que ça a duré, Johan a maintenu la capuche de son sweat rabattue sur ses cheveux et gardé le visage baissé afin d'éviter d'être reconnu. En dehors d'une brosse à dents, de café, de légumes, de pommes, de yaourts nature zéro pour cent et d'une barquette de blancs de poulet, il n'a rien déposé dans le caddie. De mon côté, j'ai récupéré ce dont j'avais besoin le plus succinctement possible, toujours dans le but d'écourter notre sortie. Ce n'est vraiment pas le moment pour lui d'être repéré dans cet état de maigreur, je ne sais pas s'il supporterait de voir son anorexie faire le buzz sur la toile.

Depuis que nous sommes rentrés à l'appartement, Johan demeure silencieux, concentré sur l'écran de son téléphone. Je respecte son mutisme, le laissant digérer son rendez-vous médical. Il me parlera probablement quand il se sentira prêt.

Pour ma part, je suis occupée à cuisiner en compagnie de Gips qui attend fébrilement son repas – et salive abondamment à cette perspective – et de Mila, installée sur le plan de travail.

Durant la consultation de Johan, je me suis renseignée afin de l'aider au mieux. Tandis que je patientais, j'ai à nouveau parcouru des sites traitant de l'anorexie sur mon téléphone. En tombant sur les pourcentages de suicides et de morts prématurées des malades que Pétronille m'avait déjà donnés pendant l'une de nos disputes, je n'ai pu m'empêcher de frissonner d'effroi. Car soudain, dans cette salle d'attente, face à ces chiffres, le danger que Johan encourait me semblait encore plus palpable.

Pour mieux cerner ses besoins, je suis allée sur divers forums, mais j'admets me sentir un peu perdue. J'ai bien vu que la plupart des anorexiques bannissent certains aliments, notamment ceux qui sont sucrés et gras, et très souvent les féculents également. Seulement, comme j'ignore tout des habitudes de Johan, je ne sais pas quoi préparer.

Égarée dans mes pensées, je ne l'entends pas se rapprocher dans mon dos. C'est quand Gips se met à pousser des grognements de contentement que je me reconnecte à la réalité.

— Tu as prévu de cuisiner pour un régiment ? s'enquiert-il en avisant les ingrédients étalés sur le plan de travail.

Ce qui me surprend le plus chez Johan, c'est sa capacité à tout intérioriser. Il conserve toujours une forme d'humour et une incroyable joie de vivre, peut-être feinte, alors qu'il est au plus bas moralement. J'ignore s'il essaie ainsi de combattre ses troubles, ou s'il cherche seulement à m'épargner.

— Kat, ne te prends pas la tête pour moi. Je me débrouille tout seul, je sais déjà ce que je vais manger. Pour être honnête, je préfère préparer mon repas moi-même...

Je l'ai lu sur les forums, ça aussi, et je l'avais remarqué cet été. Johan a dû avaler un ou deux plats que j'avais concoctés, pas plus. Il faisait régulièrement des courses, et souvent, une assiette composée par ses soins m'attendait dans le réfrigérateur lorsque je rentrais du travail. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les personnes anorexiques cuisinent beaucoup et ont d'ailleurs du mal à supporter que quelqu'un d'autre se charge des repas. Le besoin de contrôle, encore et toujours...

— Tu... Tu ne voudrais pas qu'on partage ce moment ensemble ?

Les mâchoires de Johan se contractent, et je pourrais jurer avoir vu un éclat de panique traverser son regard.

— Kat...

— On pourrait juste cuisiner tous les deux, clarifié-je. Nous ne sommes pas obligés de manger la même chose et je ne te demande pas non plus de dîner devant moi... Enfin, c'est seulement une idée, je ne veux pas te forcer à quoi que ce soit.

DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant