DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )

43. Johan

Mon téléphone ne cesse de vibrer, ce qui commence vraiment à m'user les nerfs, même si je n'en montre rien.

Les yeux rivés sur Katarina, je l'observe en train de jouer avec Gipsy, et si je ne la connaissais pas, je me dirais à coup sûr que cette nana n'est pas nette. Ou qu'elle est trop mignonne, peut-être. Je ne sais pas.

Elle court sur les galets, sa chienne soufflant comme une forge sur les talons, puis s'arrête et fait volte-face, avant de se mettre à poursuivre la bouledogue en poussant des cris bizarres tandis que Gipsy, excitée, détale dans un concert d'aboiements joyeux.

La scène se renouvelle à l'infini et elle est assez comique. Elle le sera encore plus quand Kat finira sur les fesses – ce que j'attends avec impatience –, puisqu'elle a déjà trébuché à plusieurs reprises sur les galets polis. Cette fille provoque un changement en moi, je le sens. Depuis cet hiver, c'est la première fois que je prends un repas avec quelqu'un. Même si j'ai prétendu être pressé de passer à table histoire de faire bonne figure et ne pas la décevoir – car affamé, je lui suis tout le temps, je ne pense qu'à ça –, j'ai bien conscience que ma portion et la manière dont j'ai poussé la nourriture aux quatre coins de mon assiette pour donner l'illusion d'avoir beaucoup mangé ont dû laisser Katarina perplexe. Mais elle n'a rien dit, et je lui en suis reconnaissant. Ça m'a déjà demandé un effort de dingue de dîner avec elle et d'avaler quelque chose que je n'avais pas préparé moi-même afin d'en contrôler l'apport calorique.

Lorsque mon portable vibre à nouveau, je décide de jeter un œil aux SMS qui s'amoncellent dans ma boîte de réception. Tous de ma sœur, sauf un de Marine. Les appels manqués sont d'elle aussi.

Je sais pertinemment pourquoi Pépé essaie de me joindre. L'article sur « ma bagarre » et ma nuit au poste, accompagné de photos où je ne suis pas du tout à mon avantage, fait son bout de chemin sur la toile et est repris par tous les sites people. Tissu de conneries et de mensonges.

« Johan, ivre, se bat dans la rue et est arrêté par la gendarmerie. », « Le grand gagnant de la saison dernière est-il en train de péter les plombs ? », et tout un tas de titres bidons dans ce genre. Ils ont même contacté Marine, mon « ex » de l'émission, pour gratter des infos.

Je commence à parcourir les premières lignes quand Katarina se poste derrière moi, les coudes appuyés sur mes épaules, afin de voir ce que je fabrique.

— Qu'est-ce que c'est ? demande-t-elle.

Je tressaille ; elle s'écarte aussitôt.

— Une interview de Marine à mon sujet. Soi-disant, on s'est appelés cet après-midi, et j'allais très bien ! rétorqué-je avec un rire incrédule.

— Marine ? Je suis censée la connaître ?

Il n'y a aucune jalousie dans sa voix, juste de la curiosité. Je suis limite un peu déçu.

— Elle faisait partie du jeu. On prétendait être « ensemble » pendant le programme.

— Ah d'accord ! Désolée, mais je ne regarde pas ce genre d'émissions. La télé-réalité, ce n'est pas du tout ma came. Après je ne juge pas, il en faut pour tous les goûts...

La voir tenter d'amenuiser l'impact de ses paroles me fait rire.

— J'y ai participé, OK ! Par contre, je ne mate pas ces conneries non plus. Donc ce n'est pas la peine d'essayer de m'épargner...

— C'est vrai que tu ne te sers pas de ta notoriété, contrairement aux autres. Tu n'as pas de comptes sur les réseaux sociaux ?

— Certainement pas. Je veux qu'on me zappe.