Il est midi passé lorsque j'ouvre les yeux, d'après les chiffres rouges du décodeur de la télé. Comme j'ai peu et moyennement bien dormi, je sens que je vais être dans le mal toute la journée.
Je me tourne dans mon « lit », plonge ma tête dans l'oreiller afin d'échapper à la lumière trop vive et remarque ainsi que Katarina ne partage plus mon espace. Je suis seul. Tant mieux.
Une odeur de viande grillée me parvient, elle flotte agréablement autour de moi et me donne faim. Ce putain de corps n'en aura-t-il jamais marre de vouloir bouffer ? Le son de la radio emplit le salon, j'entends une voix fredonner, et j'en déduis sans peine qu'il s'agit de celle de Kat, même si elle est noyée sous le volume du poste. D'ailleurs, qui possède encore un poste radio de nos jours ?
Alors que j'essaie de me rendormir et d'ignorer l'odeur qui fait gronder mon estomac, le nez dans la taie parfumée au savon de Marseille, je sens un poids tomber près de mon visage, et l'instant d'après, quelque chose fouille mes cheveux. Ou plutôt, des griffes se plantent dans mon crâne et des pattes s'activent de telle façon que j'ai l'impression de subir une sorte de massage pas du tout agréable.
Putain de chat !
— Bouge... marmonné-je en secouant la tête.
Mais cette espèce de truc à poils ne veut pas en démordre et continue son manège.
Je finis par le repousser mollement de la main en gardant le visage enfoui dans l'oreiller. Aussitôt, des dents pointues se referment sur mes doigts.
— Aïe, putain ! Saloperie !
La chatte lâche immédiatement sa prise, peut-être à cause de mon cri, et lorsque je lève les yeux pour découvrir ce que cette saleté prépare, je tombe nez à nez avec son anus.
Sérieusement ?
Je me redresse sur le canapé, et le félin daigne enfin m'offrir une vue plus agréable. Deux billes ambrées qui me fixent avec dédain, pupille dilatée.
Les oreilles de la chatte se plaquent alors sur son crâne, elle remue dangereusement son derrière, la queue balayant mon oreiller comme si elle allait... bondir ?
Deux secondes plus tard, une masse grise m'arrive en pleine gueule, m'arrachant une plainte furieuse.
— Johan, arrête d'embêter Mila, putain ! Les animaux ne sont pas des jouets ! s'énerve Katarina en débarquant au pas de charge.
Je parviens tout de même à chasser la harpie qui atterrit sur le canapé et me fixe avec l'envie d'en découdre. Elle s'est déjà remise en position d'attaque.
Cette bête a la rage !
Je quitte immédiatement mon lit de fortune pour lui échapper avant qu'elle ne me défigure.
— Non, mais ça va pas ou quoi ? hurle Kat. De quel droit tu traites ma chatte comme ça ? Je te préviens que si tu t'avises de recommencer, je te fous dehors, connard !
— Tu plaisantes, là ? J'étais à moitié en train de dormir quand cette furie m'a sauté dessus !
— Arrête de te foutre de moi, Johan ! Mila est la douceur incarnée !
Je jette un coup d'œil vers le canapé. Cette sale bestiole, en position de sphinx, a croisé les pattes sur ma couette et me fixe d'un air de défi. Elle cherche à m'enlever toute crédibilité, c'est sûr.
— Ta chatte est venue faire ses griffes sur mon crâne ! Elle me les a plantées dans la tête !
— C'était affectueux ! Elle pitrougnait ! s'offusque Kat, atterrée que je ne comprenne pas l'attitude de son espèce de félin.
— Elle pitrougnait ?
Il sort d'où ce mot ?
— Ben, elle faisait du surplace en malaxant ce qui se trouvait sous ses coussinets, comme les chatons lorsqu'ils tètent leur maman. Ma mère a toujours dit que nos chats pitrougnaient quand ils agissaient ainsi. Mais je ne sais pas si le terme existe vraiment...
— Ça m'étonnerait. Bref, je l'ai repoussée et elle m'a mordu ! Donc j'ai voulu me dégager, et là, elle m'a sauté dessus ! Ta chatte est tarée !
— Ma chatte n'est pas tarée ! Elle est venue te demander un câlin et tu l'as rejetée ! C'est tout à fait normal qu'elle te témoigne sa déception.
Non, mais c'est un sketch, là ? Elle est en train de se payer ma gueule ?
Je fixe Katarina qui me dévisage de ses incroyables yeux vert pâle. Elle a attaché ses longs cheveux noirs en une queue-de-cheval haute dont les boucles coulent sur son épaule.
Aucun masque, aucun artifice. Et... sacrément belle.
— Non seulement tu es intransigeant, mais en plus, tu es grincheux au réveil ! me reproche-t-elle.
Belle, et surtout, casse-burnes ! Quelle chieuse, cette gonzesse !
— Tu sais quoi, laisse tomber. Je suis désolé d'avoir martyrisé ta chatte ! finis-je par capituler parce que je n'ai pas envie de me prendre la tête pour une connerie.
— OK.
Katarina fait demi-tour et part se réfugier dans la cuisine. Ma sœur débarque quelques secondes plus tard avec son nouveau mec, et je soupire en songeant que, décidément, je n'aurai pas droit à une seconde de répit.
— Ça va, Jo ? s'enquiert Pépé en m'embrassant la joue.
— Ouais, ouais, me contenté-je de répondre.
Mes yeux sont braqués sur ce type qui vient de pénétrer dans la cuisine et détaille Katarina avec un peu trop d'intérêt à mon goût. Il ne cherche même pas à être discret, la scannant du regard alors qu'elle prépare à manger ! Putain, je n'arrive pas à croire que cet enfoiré s'autorise à reluquer une autre femme avec ma sœur à côté !
— Rassure-moi, Pépé, avec ce gars, ce n'est pas sérieux ? l'interrogé-je à voix basse.
— Il me plaît. Vraiment, m'apprend-elle avec beaucoup trop de bonheur dans la voix.
Avant que j'aie pu ajouter quoi que ce soit, elle s'éloigne de moi pour aller le rejoindre. Je la vois passer ses bras autour de la taille de cet abruti puis lui raconter je ne sais quoi, un sourire aux lèvres. Sérieux, elle a des œillères ?
— Ça vous dit qu'on aille tous les quatre à la plage après manger ? propose Pétronille, m'arrachant à mes pensées.
Kat et lui semblent emballés. Quant à moi... D'un côté, j'ai envie de m'y rendre, car j'adore nager, et ça me permettra de brûler des calories, et d'un autre...
Je me défile pour aller m'enfermer dans la salle de bains. D'un mouvement vif, je retire mon T-shirt et m'observe à travers le miroir.
Une grimace de dégoût déforme mes traits quand je détaille mon corps. Difforme. Lourd. Gras. Tellement imparfait. On distingue à peine mes côtes, mes clavicules ne saillent pas assez. Je me tourne pour avoir une vue de dos. Même réflexion. Trop de graisse. Je décide que je garderai mon T-shirt. Si on me fait la moindre remarque, je prétexterai ne pas vouloir prendre de coups de soleil. Et dans le cas où quelqu'un insisterait, il me suffira de me montrer désagréable pour décourager qui que ce soit de me poser davantage de questions.
Car être désagréable, c'est encore ce que je sais faire de mieux.
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DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )
RomanceLorsque Johan et Katarina se rencontrent, ils éprouvent aussitôt un profond mépris l'un envers l'autre, chacun étant campé sur ses préjugés. Forcés de cohabiter durant quelques semaines, ils vont peu à peu découvrir que derrière la colère et l'arro...