70. Katarina

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Aujourd'hui est une journée particulière. Nous sommes le mercredi 6 décembre 2017, et la France entière s'est figée à l'annonce de la mort de Johnny Hallyday, parti pendant la nuit.

Quand j'ai procédé à l'ouverture du magasin ce matin avec Soline et Josseline, le nom du rocker était – et il est encore – sur toutes les lèvres. Dans la rue, les gens pleurent, d'autres affichent un visage grave, certains se recueillent en silence. Tout le monde est touché par la disparition de la star. Si je n'étais pas fan de cet artiste, j'admets néanmoins qu'il avait de belles chansons à son répertoire et son décès ne me laisse pas indifférente. C'est comme s'il nous rappelait brusquement notre condition de mortels. Avec ma mère, on disait souvent que le jour où Johnny s'en irait, ce serait un drame national tant il était idolâtré, mais dans le fond, j'ai naïvement pensé que cela n'arriverait jamais. On a parfois tendance à s'imaginer que les grands noms ne peuvent pas disparaître, seulement la Faucheuse est là pour nous rappeler que nous lui sommes tous destinés et que personne ne lui échappe.

En quittant la boutique, à dix-neuf heures trente, je décide d'aller faire un tour sur la promenade du Paillon où un rassemblement est prévu afin de rendre hommage à l'Idole des jeunes. J'envoie un texto à Johan pour le prévenir de mon retard et l'invite à dîner sans moi. De mon côté, j'achète un sandwich que je grignote sur le trajet.

Lorsque j'arrive sur les lieux, c'est noir de monde. La presse est là, elle aussi. Une bâche avec le portrait de Johnny, une guitare à la main sur un fond de lumière et d'obscurité, représentant parfaitement la personne qu'il était, est tendue devant nous. Des enceintes diffusent également ses titres. Les gens pleurent, se consolent, parlent entre eux avec émotion, chantent, déposent des fleurs, des bougies, des photos, des mots. Je reste immobile, perdue dans cette foule endeuillée, sans trop savoir où est ma place. J'ai presque la sensation d'être un imposteur, pourtant, même si mes joues ne sont pas mouillées, je suis véritablement touchée. Je demeure là un moment, figée, ressentant le besoin viscéral d'être au milieu du monde pour rendre aussi hommage à ce grand nom de la chanson française. Puis je remarque un visage familier à quelques pas de moi.

Mon voisin, monsieur Lambert.

Lui aussi est seul parmi tous ces gens. Il a l'air effondré. Des sillons humides coulent de ses yeux pour mourir dans sa barbe poivre et sel. Son chagrin me touche, alors je m'approche de lui.

Quand je pose ma main sur son blouson en cuir, il se tourne dans ma direction et, l'espace d'un instant, son expression reflète l'étonnement. Puis il hoche la tête en un « merci » muet et je glisse mon bras sous le sien pour le crocheter.

Vient la minute de silence, en présence du maire, Christian Estrosi, seulement perturbée par les sanglots de ceux qui ne parviennent pas à les retenir. Dès qu'elle prend fin, des cris et des applaudissements retentissent, saluant la star. Puis la chanson, L'envie est entonnée et reprise en chœur.

Et là, à l'aube de la nuit, alors que personne n'arrive encore vraiment à croire en la triste nouvelle, s'élèvent en hommage à un seul homme, dans le cœur de Nice, les voix de centaines d'inconnus.

*

De retour à notre immeuble, je raccompagne monsieur Lambert jusqu'à son appartement. Pour la première fois depuis que j'habite ici, il m'invite à entrer chez lui. Je comprends qu'il a envie de parler, et même s'il est déjà tard et que je bosse demain, je n'ai pas le cœur à refuser. J'envoie donc rapidement un texto à Johan pour le prévenir, avant de m'installer sur le canapé du salon, selon le désir de mon hôte.

— Tu veux boire quelque chose, mon p'tit ?

— Pourquoi pas.

— Pastis ? Whisky ? Bière ?

DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant