33. Johan

4K 519 36
                                    


Quand j'arrive dans la chambre qu'occupe ma sœur, je la découvre en train de remplir un sac d'habits. Elle ne se rend pas compte de ma présence, mais moi, je l'entends.

Elle pleure.

Putain, les sanglots de Pétronille font vraiment partie des rares choses que je ne supporte pas. Ils me touchent jusque dans mes tripes. Si ma sœur, dépressive depuis l'adolescence, m'a habitué à se montrer très mélancolique et à ruminer dans son coin, depuis quelques jours, son état émotionnel m'inquiète. Elle est hypersensible, à fleur de peau.

Je pousse un profond soupir puis la rejoins. Passant mon bras autour de ses épaules, je l'enserre doucement en espérant la réconforter. Elle s'agrippe à mon T-shirt comme à une bouée.

— Je n'arrive pas à croire que j'ai pu être aveugle à ce point concernant Katarina. Tu sais, je ne le montre peut-être pas, mais je m'étais énormément attachée à elle. Je ne comprends pas son manège. Que cherche-t-elle ? renifle Pétronille.

— Pourquoi tu ne lui laisses pas le bénéfice du doute ? Tu n'as même pas essayé de réfléchir à la situation. Imagine que ce soit toi qui te trompes ?

— Franchement, Johan !

Ma sœur me relâche et s'écarte pour me dévisager. Nous nous fixons, les yeux dans les yeux. Pépé me sonde, espérant peut-être découvrir que mes mots sont en désaccord avec mes pensées. Lorsqu'elle s'aperçoit de ma sincérité, elle laisse son exaspération s'exprimer :

— Comment tu peux être aussi naïf ? Quel genre de mec confierait à sa copine qu'il l'a trompée, prenant le risque de la perdre, sans aucune raison valable ? Il voulait que je le sache parce qu'il s'est rendu compte qu'il tient à moi et refuse de continuer à me mentir ! S'il avait envie de me manipuler, il n'aurait rien dit, c'est logique ! Katarina n'était pas du tout décidée à me révéler la vérité !

— Et si au contraire, il te faisait croire qu'il vient de t'avouer sa soi-disant trahison pour que tu lui fasses plus confiance encore ? Peut-être que son seul but est de blesser Kat...

— N'importe quoi, il s'en fout complètement d'elle ! Où vas-tu chercher des idées pareilles ? C'est ridicule !

— La preuve que non, puisque ça fonctionne ! Tu lui as déjà pardonné, alors qu'il prétend t'avoir été infidèle...

Ma sœur semble sur le point de me sauter à la gorge tant elle est frustrée de ne pas me voir aller dans son sens. Et je dois bien reconnaître que les versions respectives de Katarina et Grégoire sèment le doute. D'un côté comme de l'autre, cette histoire est tellement tirée par les cheveux qu'elle en paraît invraisemblable. Dans le fond, je comprends les difficultés de Pétronille à envisager que son mec puisse lui raconter un mensonge pareil. Ça semble fou, surtout après sa performance de l'autre fois. Un véritable acteur ! Même moi, j'y ai cru. Si Katarina n'avait pas décidé de se confier, je serais sûrement toujours convaincu par le discours et la mise en scène de ce type.

— Est-ce que tu veux bien qu'on discute cinq minutes, Pépé ? quémandé-je à voix basse.

Pépé étant le surnom que je lui donnais quand j'étais gamin, il exerce toujours le même petit effet sur ma sœur lorsque je l'emploie. Et OK, c'est vrai, je ne m'en sers pas qu'à des fins désintéressées.

— D'accord, concède-t-elle avec une moue boudeuse.

Ma frangine est une véritable femme enfant.

Nous nous installons sur son lit. J'ignore par où commencer, alors je vais au plus simple.

— Est-ce que tu lui as parlé de la mort de Papa ? De ce qui s'est passé entre Maman et lui ?

Pétronille reste impassible. Je n'arrive pas à deviner si elle lui a confié cette partie de sa vie. Par contre, je sais à quel point les infidélités de notre mère l'ont marquée. Et pour cette raison, je ne saisis pas bien comment elle a pu passer l'éponge si vite sur la « tromperie » de Grégoire. Surtout qu'elle est toujours particulièrement remontée contre Kat. Pourquoi en vouloir à l'une et pas à l'autre ? Quelque chose me dit que son mec est derrière tout ça. Dans ce genre de circonstances, il faut toujours un coupable afin d'apaiser celui qui a été bafoué.

— Non, pourquoi lui aurais-je raconté quelque chose d'aussi intime dès notre rencontre ?

— Je n'ai pas dit que tu l'avais fait lors de votre premier rendez-vous...

— Je n'ai pas ressenti le besoin de le saouler avec mon passé.

Ma sœur me ment, j'en ai l'absolue certitude à présent. Son regard fuyant, sa voix hésitante et ses gestes nerveux sont autant de preuves.

Alors que nous restons silencieux, une mélodie orientale retentit depuis le salon. Katarina a sans doute décidé de danser. Je réfléchis rapidement à la manière de procéder pour persuader ma sœur d'être honnête avec moi. Comme je ne possède pas le moindre argument qui pourrait la convaincre, je me tourne vers la seule solution à ma portée. Le volume de la musique m'assure de ne pas être entendu, mais plutôt que d'éprouver du soulagement à cette idée, je ressens un profond dégoût envers moi-même.

— Je vais te raconter une histoire...

À l'instant précis où je prononce cette phrase, je sais que je vais le regretter. Cependant, dois-je prendre le risque d'abandonner ma sœur entre les mains d'un homme prêt à repousser les limites de ses conquêtes dans le seul but de se divertir, juste pour ne pas trahir la confiance de Katarina ?

Le dilemme est cruel, car je me suis attaché à elle... Seulement il s'agit de Pétronille, mon aînée, ma famille. Mon sang.

Quel frère serais-je si je la laissais tomber dans un piège aussi sordide en toute connaissance de cause ?

DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant