4. Katarina

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À peine un pied posé dans l'appartement, Johan disparaît dans la salle de bains. Je vois au bazar régnant dans le salon que Pétro l'a déjà installé sur le canapé. Comme je n'étais pas pressée de faire la connaissance du bellâtre, je suis partie de bonne heure au bar et n'ai donc pas assisté à son arrivée. J'ai tout de même un certain instinct de conservation.

Gips surgit dans l'entrée comme un boulet de canon, suivie de près par Mila qui avance gracieusement sur la pointe des pattes, la queue droite et le port altier, telle la princesse qu'elle est.

Le devoir m'appelle.

Je les nourris toutes les deux puis vais promener ma bouledogue. La nuit est douce en ce début du mois de juin 2017, et il n'y a rien de plus agréable à mes yeux. Nice est si belle à l'aube de l'été.

Quand je rentre, je croise Johan qui vient de sortir de la douche. Il porte un T-shirt noir extra large et un jogging de couleur identique.

Il fait vingt-cinq degrés dans l'appart et le gars est en pantalon. OK.

— Quoi ? demande-t-il d'un ton sec en me voyant le dévisager.

— Désolée, tu as un tel charisme, tu sais. J'étais en train de mater le dieu vivant que tu es.

— Je ne peux malheureusement pas te retourner le compliment.

— Pourquoi ? Tu ne me trouves pas canon ? raillé-je en tournant sur moi-même.

Il est évident que ce genre de mec vénal mise tout sur le physique et ne se tape que des nanas au corps parfait. Car toutes ces émissions de télé-réalité se basent essentiellement sur le paraître, non ?

— Excuse-moi de te le dire en ces termes, mais tu as un gros cul.

Il croit sérieusement qu'il va me blesser ? Mec, je suis au courant depuis le temps, et je le vis bien !

Comme je sais être joueuse, et un peu actrice sur les bords, je décide de tester le degré de sensibilité du goujat. Il ne faut jamais lésiner à en apprendre plus sur son ennemi ; en temps de guerre, ça peut sauver des vies.

Je porte une main à ma poitrine comme si je venais de recevoir une balle en plein cœur, fais trembler mes lèvres et me concentre jusqu'à ce que mes yeux s'embuent.

Le regard de Johan passe de la colère au désarroi. Il s'est crispé, soudain mal à l'aise. Il ne sait plus où se foutre, ce con ! Et moi, je dois utiliser toute la force de mon mental afin de ne pas trahir trop tôt ma petite comédie. C'est tellement bon de le voir blêmir ! Si seulement je pouvais prendre une photo pour immortaliser ce souvenir et avoir le plaisir de la ressortir au prochain coup de blues.

— Désolée, Katarina, j'ai abusé, s'excuse-t-il. La soirée a été un peu chargée en émotions...

— Ce n'est pas une raison ! parviens-je à sangloter, à fond dans mon rôle. On ne se sert pas de l'apparence des gens pour les blesser ! Tu n'as pas idée du mal que tu m'infliges ! En une seule phrase, tu as fait remonter tous les mauvais souvenirs de mon adolescence !

— Je...

Oh mon Dieu, je me régale ! L'autre est livide tellement il est mal à l'aise. À elle seule, cette vision pourrait me déclencher un orgasme. Mais bon, on ne va pas passer la soirée à s'amuser, je suis crevée, et demain, une longue journée m'attend. Ouverture des ventes privées, il faut que je recharge les batteries sinon je vais être d'une humeur de chien et risque de mordre toutes les clientes de la Côte d'Azur qui viendront se perdre dans la boutique de Josseline Thomas.

J'enlève le masque de la fille brisée par des années de moqueries et lui lance un grand sourire. Je suis même obligée d'essuyer une ou deux larmes, j'ai tout donné.

DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant