51. Johan

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Mon portable vibre contre ma cuisse ; je l'extirpe de la poche de mon jean et découvre qu'il s'agit encore de Pétronille. Je l'ai vue avant de partir, il y a un peu plus de cinq heures et j'ai eu droit à une véritable scène.

Quand je lui ai annoncé que je remontais sur Paris, elle a comme disjoncté. Elle est devenue si haineuse que j'ai eu du mal à la reconnaître. Sa jalousie n'avait plus de limites ; j'ai eu beau tenter de la raisonner, elle s'est mise à tenir des propos de plus en plus ignobles envers Katarina. Alors j'ai fini par m'en aller.

Je rejette l'appel de ma sœur. Les écouteurs vissés sur les oreilles pour supporter la route j'essaie de profiter de la musique. Car dans l'habitacle, c'est le chaos.

Quand j'ai réservé mon trajet en covoiturage sur un site spécialisé, je ne m'attendais pas à tomber sur deux filles complètement surexcitées. Après s'être raconté un peu leur vie, avoir parlé mode, puis littérature, cinéma, bouffe et tout le bordel, elles se sont mises à chanter. Deux heures de blablas plus tard donc, me voilà à présent en plein karaoké depuis déjà quarante minutes. Malgré le volume de ma propre musique, leurs voix criardes me parviennent.

Mon téléphone vibre à nouveau. Je jette un œil à l'écran ; il s'agit d'un message provenant d'un numéro que je ne connais pas.

« Quand le chat n'est pas là,

les souris dansent. »

Mon cœur manque un battement.

Je me hâte d'appeler Katarina pour lui dire de ne surtout pas sortir de chez elle et de n'ouvrir à personne. Évidemment, après plusieurs sonneries, je tombe sur sa messagerie, parce que rien ne peut jamais être simple, putain ! Je réessaie plusieurs fois, mais elle ne répond pas ! Mes paumes sont si moites que mon téléphone glisse entre mes mains. Je retire mes écouteurs et me mets à gueuler pour me faire entendre par-dessus le tapage qui règne dans la voiture.

— Les filles !

La passagère baisse le volume.

— Quoi ?

— Il faut que vous me déposiez...

— Mais on est sur l'autoroute ! s'exclame la conductrice.

— J'ai une urgence, je dois absolument retourner à Nice, c'est vraiment important.

Il y a un léger silence, puis elle me déclare d'un ton blasé :

— OK, je te largue à la prochaine sortie.

— Merci.

— Pas d'quoi.

Ma demande l'emmerde un peu, mais c'est bien le dernier de mes soucis. Je rédige un texto à Kat, à peu près identique à ce que je lui ai dit sur son répondeur, puis j'appelle Maxime. Il décroche au bout de deux sonneries :

— Ouais ?

— Il se passe un truc avec Katarina. Va chez elle et vérifie si elle est bien à son appart.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

Je lui résume rapidement la situation, et une fois que j'ai terminé, Maxime promet de me tenir au courant avant de raccrocher. J'en profite pour essayer de joindre ma sœur, car ses appels étaient sans aucun doute liés au texto que j'ai reçu. Elle ne répond pas, évidemment ! Elle me contacte il y a un quart d'heure, et maintenant, plus moyen de l'avoir. Ça sent vraiment mauvais, et l'angoisse me bouffe les nerfs. Les doigts tremblants de colère, je me mets à marteler l'écran de mon téléphone, rédigeant un SMS au numéro qui m'a envoyé le message.

« Si tu touches à un seul

de ses cheveux... »

Une vague de culpabilité me submerge. À aucun moment, je n'ai pensé mettre Katarina en danger en repartant à Paris, et pourtant, il n'y avait rien de plus logique. Bordel, comment ai-je pu être aussi con ? J'ai voulu la protéger des médias, et à la place, je l'ai offerte à Grégoire sur un plateau d'argent.

L'inquiétude que je ressens jusqu'au fond des tripes est si intense qu'elle me fout la gerbe. J'essaie de rester calme en attendant d'avoir des nouvelles de Maxime. C'est de toute façon la seule chose que je puisse faire dans ma situation. L'idée d'appeler les flics me traverse l'esprit, mais je sais d'avance qu'avec mon manque d'informations, ils ne me prendront pas au sérieux.

« Mais moi, je ne vais rien faire.

Je ne suis qu'un simple spectateur

et, comme toi, j'ai hâte d'assister

au grand final. »

Je reste con devant mon écran, tous les scénarios possibles et imaginables défilent dans mon cerveau. Au fond de moi, je commence à deviner ce qui est en train de se produire cependant, comme saisi d'une horrible évidence.

Lorsque Maxime me rappelle, une vingtaine de minutes plus tard, je réponds aussitôt :

— Alors ?

— Elle n'est pas chez elle. J'ai fait le tour du quartier, je n'ai pas vu la voiture non plus. Et Gipsy hurle derrière la porte. Je file à mon appartement chercher le double des clefs pour regarder ce qui se passe. Je suis à pied, j'en ai bien pour un gros quart d'heure.

— Tu ne l'as pas pris avant de venir ? m'enquiers-je avec humeur, exaspéré qu'il n'y ait pas déjà songé.

— Non, j'étais au bar à trois rues de chez elle, pas chez moi.

— OK. Je ne suis pas sûr que ce soit utile.

— À quoi tu penses ?

Je lui expose rapidement mon point de vue. Nous nous mettons d'accord sur la façon dont nous devons agir. Au moment où il me parle de prévenir les flics, cette fois, je sens le stress m'envahir à l'idée qu'ils puissent intervenir.

— J'aimerais d'abord qu'on les retrouve...

— Si Kat est en danger, je n'hésiterai pas un seul instant. Je suis désolé, Johan, mais ma meilleure amie passe avant tout.

— Je sais, Max, et c'est aussi ce que j'attends de toi. J'arrive au plus vite.

— Ça marche. Je vais quand même jeter un œil dans son appart. Après je passerai chez Grégoire et Nicole, puis je ferai le tour des plages et du centre-ville. Mais si ça ne donne rien, j'irai au commissariat, Johan...

— OK.

Nous raccrochons. Je me rends alors compte que nous roulons en sens inverse. L'écran de mon téléphone m'indique qu'il est vingt-trois heures dix.

— Qu'est-ce que vous foutez ? demandé-je aux filles.

— On te ramène à Nice. Tu pourras nous dire merci, parce que le but du covoiturage, c'est quand même d'aller d'une destination à une autre, pas de faire une balade pour revenir au point de départ.

— Merci.

— On a été un peu obligées d'écouter la conversation. Ce serait presque de la non-assistance à personne en danger de refuser de te reconduire. Par contre, je crois que tu devrais appeler les flics...

J'en ai conscience, sauf qu'il n'y a pas de solution idéale pour régler la situation présente.

— Je sais bien, mais les choses ne sont pas si simples.

— Si quelqu'un s'en prend à ton amie, je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué !

J'inspire profondément avant de répondre :

— Le fait que cette personne n'est pas dans son état normal.

Je reste silencieux quelques secondes avant de poursuivre pour moi-même d'une voix d'outre-tombe :

— Et qu'il s'agit de ma sœur.

DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant