60.Johan

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Il est un peu plus de six heures du matin quand je me gare dans la cour de la vaste maison. Notre mère habite à Dracy-le-Fort, en Saône et Loire. Les volets sont ouverts, preuve qu'elle est déjà levée. Ça ne m'étonne pas, elle a toujours été hyperactive. Dès qu'elle met un pied hors de son lit, elle commence à courir partout et ne s'arrête plus jusqu'au moment où elle se couche, sinon elle s'ennuie. Vivre en compagnie d'une véritable pile électrique accro au ménage et à l'ordre n'a pas toujours été facile à supporter ; mais ce que je redoute le plus aujourd'hui, ce sont ses remarques blessantes.

Je m'étire en grognant ; Pétronille se réveille. Elle a dormi pendant tout le voyage. Ma sœur m'avait affirmé qu'elle n'irait pas en clinique psychiatrique, et malgré tout, je suis parvenu à la conduire en Bourgogne sans trop de protestations. Je ne comprends pas tellement ce brusque revirement de situation, mais une part de moi s'en réjouit. L'autre a un mauvais pressentiment.

— Putain, la vieille est déjà là ! marmonne Pépé en se tassant sur son siège.

En effet, notre mère déboule dans un élégant peignoir, chaussons délicats aux pieds, toujours aussi rayonnante et lumineuse. Longs cheveux châtains, yeux mordorés dont j'ai hérité, elle paraît avoir à peine quarante ans alors qu'elle vient d'en fêter cinquante, ce qui attise la jalousie de ses amies et collègues. Pour son plus grand bonheur...

Un éclatant sourire étire ses lèvres tandis qu'elle nous accueille à bras ouverts. Ça ne va sans doute pas durer. Je l'ai prévenue hier après-midi, juste avant d'aller me reposer, que nous nous apprêtions à débarquer. Je lui ai aussi expliqué les raisons de notre visite. Elle a retenu une chose de notre conversation : à partir d'aujourd'hui, elle nous aura pour elle toute seule, et ce, pour une durée indéterminée.

Je sors de la voiture et rends son sourire à la femme qui m'a donné la vie. Je l'aime autant que je la hais.

— Johan, mon chéri ! s'exclame-t-elle en me serrant un peu trop fort. Je suis contente de te voir ! Par contre, il va falloir que tu m'expliques cette histoire d'agression sexuelle parue dans les magazines people !

Putain, quel accueil !

— Maman... soupiré-je, agacé.

— Oui, je sais, ils sont prêts à inventer n'importe quelles salades pour se faire de l'argent, mais il serait peut-être temps que tu démentes ! C'est honteux !

Inutile de chercher à en discuter avec ma mère, puisque, de toute évidence, elle a lu les articles et n'a même pas essayé de savoir comment j'allais, ou si les propos rapportés dans les journaux étaient le reflet de la réalité. Son comportement aurait pu me blesser, cependant, en comparaison de ma séparation avec Katarina et de mon inquiétude concernant l'état mental de ma sœur, l'indifférence de ma génitrice est à peine plus douloureuse qu'une écharde plantée sous ma peau.

Enfin, elle me relâche pour accueillir Pétronille, mais se fige en la voyant :

— Tu as une mine affreuse, ma chérie ! Je t'ai connue plus coquette !

Je serre la mâchoire et les poings, encaissant son incroyable manque de tact. Il n'y a donc que cela qui l'intéresse, malgré tout ce que je lui ai confié ?

— T'es pas mal non plus en peignoir et pantoufles, rétorque ma sœur, piquée au vif.

Un léger silence ponctue sa phrase, puis notre mère se décide à lancer un joyeux :

— Moi, au moins, j'ai fait mes ongles ! Bon, allez, venez à l'intérieur. On prend un petit-déjeuner en famille, et ensuite, vous pourrez vous reposer !

DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant