48. Johan

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Je pensais trouver à Nice la paix qui me faisait défaut sur Paris. À aucun moment, je n'aurais pu imaginer que je m'apprêtais à voir ma situation empirer. Quel était le taux de probabilité pour que je doive affronter le chantage d'un mec complètement taré afin de protéger la femme dont je suis en train de tomber amoureux ? Et bon sang, quel était le taux de probabilité pour que je tombe amoureux en même pas un été ?

Les événements se sont enchaînés à une vitesse folle, je n'ai rien vu arriver, et je me suis retrouvé aspiré dans un véritable tourbillon dont je ne sais comment m'extraire.

Tout à l'heure, j'ai voulu aller courir. À peine avais-je posé un pied sur le trottoir que les flashs ont crépité. Les paparazzis n'étaient pas nombreux, peut-être une dizaine, mais j'ai eu l'impression qu'ils étaient mille. Ces types-là parviennent à trouver où vous logez même quand votre nom n'apparaît pas sur la boîte aux lettres. Ça me sidère. J'ai fait demi-tour, me suis dépêché de trouver refuge dans l'immeuble, sauf qu'un des journalistes a eu le temps de bloquer la porte avec son pied et en a profité pour prendre des photos tout en me mitraillant de questions.

Heureusement, le voisin de Kat, fringué d'un T-shirt noir Harley Davidson à tête de mort, d'un jean sombre et de bottes de moto, dévalait les marches au même moment. Une fois dans le hall, il a écarté les bras en un geste accueillant, un peu à la manière d'une rock-star face à son public, et a entonné d'une voix parfaite :

« Quoi, ma gueule ? Qu'est-ce qu'elle a, ma gueule ? »

J'ai exploité le bref temps de surprise du photographe face à cette interprétation inattendue d'une des célèbres chansons de Johnny pour remonter jusqu'à l'appartement. Cependant, juste avant de fermer le battant, je me suis immobilisé un court instant, tendant l'oreille afin de vérifier qu'aucun autre de ces vautours ne m'avait suivi dans les escaliers. J'ai donc eu le loisir d'écouter le rocker chanter : « si tu veux t'la payer, viens, je rends la monnaie ». Malgré la situation, je n'ai pu m'empêcher de rire en entendant le gars poursuivre sa rengaine.

À présent, je suis en train de boucler mes valises. Je ne peux pas rester ici, pas tant que les choses ne se seront pas tassées. D'un côté, je me sens con de ne pas avoir anticipé. Je ne m'attendais pas à ce que la presse à scandale trouve l'adresse de Kat aussi rapidement. Je ne serais pas étonné que Grégoire la leur ait filée, histoire de me punir. Ça me donne envie de repasser chez lui finir de lui régler son compte.

En entendant la clef jouer dans la serrure, je me fige et me tourne vers la porte. Gipsy débarque avec son Télétubbies dans la gueule, excitée par l'arrivée de sa maîtresse.

Katarina apparaît quelques secondes plus tard, les joues un peu rouges, comme si elle avait couru. Sans doute pour échapper à ces connards de paparazzis...

— Johan, qu'est-ce que t'as foutu ? s'inquiète-t-elle.

Son visage reflète tout son désarroi lorsque son regard tombe sur mes sacs de sport.

— Tu... pars ?

Sa voix est éraillée. Putain, je ne pensais pas que sa réaction me ferait aussi mal.

— Juste quelques semaines, pour qu'on m'oublie un peu.

— Avant d'apprendre que tu avais dévoilé ce qui t'est arrivé à la presse, j'envisageais la même chose. De mettre notre histoire en pause le temps de régler la situation avec Grégoire. Mais là, en te voyant avec tes sacs... Je ne sais plus.

— C'est la meilleure solution, Kat.

— Je ne veux pas que tu traverses ça tout seul, Johan. Je veux rester près de toi.

— Je refuse que tu subisses cette merde !

Les paparazzis vont planquer devant chez elle jour et nuit, sauf s'ils me surprennent en train de me tirer avec mes affaires. C'est la seule façon de l'épargner.

En remarquant l'inquiétude sur ses traits, je m'adoucis et tente de la rassurer.

— Je ne suis pas en train de te fuir, Katarina, j'essaie de te protéger.

— Je n'ai pas besoin d'être protégée ! J'ai besoin que tu sois là !

— Non, tu ne te rends pas compte ! Ces types vont te suivre partout, te prendre en photo, te poser des tas de questions sur moi, mais aussi sur toi. Ils vont fouiller dans ton passé pour l'exposer ! Il faut juste que tu sois patiente, je ne te laisse pas tomber ! lui promets-je.

— Je ne veux pas que tu sois tout seul. Pas alors que tu es malade.

En entendant ce mot dans sa bouche, mon assurance vacille. Les sirènes restent silencieuses, mais je sais qu'elles attendent ma réponse.

Malade. Je hais tellement cet adjectif qui pourtant me qualifie. Parce qu'au milieu de toute cette folie qui m'anime, j'ai bien conscience d'une chose : je suis l'unique auteur de mes troubles. C'est moi, et moi seul, qui me suis enfermé dans cette prison mentale.

En détaillant la mine défaite de Katarina, je comprends que je me dois de la tranquilliser.

— Ça va aller, je te le promets. Fais-moi confiance.

Kat baisse les yeux puis hoche la tête. Son air attristé me perturbe et me renvoie à ma propre peine. Je n'aime pas l'idée d'être séparé d'elle, même si ce n'est que pour peu de temps. Une relation naissante est toujours fragile, et j'ai peur de nous condamner à cause de la distance.

— Il faut que je retourne travailler, m'avoue-t-elle d'un ton rauque.

— Kat, attends !

— Pour quoi faire ?

— Pour te dire au revoir !

— Je ne veux pas d'adieux.

— Ce n'en sont pas, je te le jure.

Ses yeux brillent un peu, elle cligne rapidement les paupières, et toute trace d'humidité disparaît aussitôt.

Je m'approche d'elle d'un pas lent puis cueille son visage entre mes mains. Ses pupilles se dilatent quand les miennes y plongent, et le rythme de mon pouls s'intensifie. Elle ignore à quel point elle va me manquer, à quel point je vais galérer, tout seul, sur Paris.

— Tu sais ce que je ressens pour toi, hein ? murmuré-je.

Elle acquiesce et souffle :

— Toi aussi, tu le sais.

— Alors, nous n'avons pas besoin de le dire.

— Non.

Nous continuons de nous fixer, et les émotions qui passent dans nos regards sont si limpides qu'il est inutile de qualifier nos sentiments.

Puis, soudain, mus par la même envie, nous nous penchons l'un vers l'autre pour nous embrasser à en perdre haleine. J'aspire sa lèvre inférieure, lui arrachant un soupir, tandis que ma langue vient chercher la sienne. Nos bassins se trouvent et mes mains quittent son visage pour descendre le long de son dos, puis de ses reins, jusqu'à se glisser dans les poches arrière de son short. Je l'attire davantage contre moi et gémis lorsque son corps se presse contre mon désir éveillé. Kat me repousse alors doucement, mettant fin à notre étreinte.

— Je voudrais tellement rester encore un peu, mais je dois partir, Johan, je vais être en retard, me rappelle-t-elle, ses cordes vocales tremblant sous l'intensité de son trouble.

D'un signe de tête, je lui signifie que je comprends. Je préfère éviter de parler, au cas où ma voix trahirait mon émotion.

Katarina esquisse un pas en arrière, se libérant de mon emprise. Je la regarde reculer vers la porte, comme un rêve qui se délite lentement avant de disparaître.

DERRIÈRE NOS MASQUES ( /Les voix des sirènes )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant