Je m'appelle Loïc. C'était le prénom de mon grand-père. Un homme admirable paraît-il, mais que je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de connaître. Mes parents voulaient que je lui ressemble ; alors ils m'ont donné son prénom, mais ils m'ont aussi donné les qualités qu'ils admiraient chez lui.Je suis curieux. Mes parents pensaient que c'était l'une des plus grandes qualités que l'on puisse avoir, celle qui nous permet de nous améliorer constamment et de ne jamais stagner dans l'existence. Alors, naturellement, ils m'ont donné cette qualité. C'est une décision un peu controversée : choisir de donner à son enfant la curiosité. Il s'agit de l'une des qualités sur lesquelles aucune tendance forte ne se dégage et les opinions diffèrent. Certains parents pensent que la curiosité est un poison pour l'existence, qui nuit au sommeil, empêche le bonheur et enquiquine les voisins.
Ces parents là préfèrent donner à leurs enfants l'ambition, tout aussi efficace que la curiosité comme vecteur d'action et bien moins néfaste pour la tranquillité d'esprit. Moi aussi j'ai de l'ambition. Mais pas trop, parce qu'un trop haut niveau d'ambition est incompatible avec un fort taux de bienveillance. C'est ce que disent les laboratoires, simplification d'une réalité scientifique trop complexe et de toute façon inutile pour la plupart des gens. Ces laboratoires de génétique comme celui dans lequel je travaille. Ces laboratoires où nous nous attelons à permettre la venue au monde d'enfants véritablement désirés par leurs parents. Permettre la venue au monde des enfants qu'ils auront choisi d'avoir : une mission tout à fait honorable à mes yeux et à ceux des miens, quoi qu'ils puissent en penser chez le peuple d'à côté.
Cette curiosité, celle de mon grand-père, est justement la raison pour laquelle je me suis intéressée à ce qui se passait à Dievex et à leur façon de voir les choses. Là bas où l'humanité a oublié ses racines, où donner à son enfant le nom d'un aïeul serait considéré comme un crime contre nature, où le mot grand-père ne veut même plus rien dire et où le mot parent a perdu la moitié de sa signification. Là bas où mes parents auraient été regardés comme irresponsables pour avoir eux cinq enfants. Comme si se reproduire n'était pas l'un des droits les plus fondamentaux des êtres humains ! Là bas où énoncer ce que l'on souhaite que son enfant devienne est réprimé par la morale, et où toute manipulation génétique prénatale serait considérée par la loi comme un crime capital.
Ma curiosité a été satisfaite. Je ne crois pas qu'elle m'ait donné envie de m'améliorer. Après les avoir vus de près, je suis plus convaincu que jamais que les choses sont pour le mieux ici à Chesna. Et tant mieux. Car il faut de l'ambition pour souhaiter changer les choses ; et je n'ai pas beaucoup d'ambition. Je n'ai pas beaucoup d'ambition mais je ne le déplore pas. Non, jamais je ne pourrais déplorer les choix génétiques que mes parents ont faits pour moi. Car je suis moi, je suis ainsi. Comment pourrais-je souhaiter autre chose ? Il aurait fallu que je sois différent à la base, pour pouvoir souhaiter être différent.
Non, nous ne souffrons pas de notre situation. Les choses sont bien faites. Nous souhaitons être tels que nous sommes. Et nous n'avons pas à nous demander qui nous voulons être. Nous savons qui nous sommes. C'est plus que ce qu'ils peuvent dire à Dievex ; eux qui en souhaitant pouvoir être tout et n'importe quoi ne sont au final plus rien.
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Humains néanmoins
Science FictionIl est né avec collé sur son berceau une cartographie de son patrimoine génétique, choisi par ses parents et définissant dans les moindre détails qui il est destiné à devenir. Elle est née dans une couveuse artificielle, de la rencontre de deux gam...