Liberté écrivait. Elle avait déjà tapé une page entière ; il aimait la voir ainsi inspirée, concentrée. Il venait de faire tomber une assiette et de la briser mais elle ne semblait pas le remarquer ; elle n'avait pas sillé. Il ramassa les dégâts et la regarda de nouveau : elle était face à une page blanche : « Mais, où est passé tout ce que tu avais écrit ?
— Je ne pouvais pas écrire ça. J'ai écrit sans savoir où j'allais arriver. Je pensais qu'écrire m'aiderait à mettre de l'ordre dans mes pensées, que ça me permettrait de découvrir mon opinion finale, d'arriver à une conclusion. Mais je crois que ça n'a fait que tout embrouiller plus encore. Parce que ce n'est pas possible que ce soit la conclusion ! Quelque chose cloche, ça sonne faux. Il doit y avoir une erreur dans mon raisonnement. Je dois passer à côté de quelque chose d'essentiel. Je ne pouvais pas écrire ça.
— Écrire quoi ?
— Que je veux voter oui.
— Tu veux voter oui ?
— Je ne sais pas. Je crois. Non, je ne crois pas. Je suis perdue. Je me suis retrouvée à écrire que j'allais voter oui. Mais je ne crois pas que ce soit vrai. Je ne crois pas que je vais voter oui. Je ne peux pas voter oui. Et je peux encore moins écrire que je compte voter oui.
— Tu sais Liberté, on n'est pas si horribles que ça.
— Je sais.
— Alors quoi ?
— Je ne peux pas dire oui à l'eugénisme. On ne peut pas. Je ne veux pas qu'on devienne comme vous. Peut-être que ce n'est pas si horrible qu'ils le pensent, peut-être que vous êtes toujours humains et que votre vie n'est pas complètement vide de sens. Mais ce n'est pas parce que Chesna n'est pas le pire enfer qu'on puisse imaginer que Divex n'est pas mieux. Vous oubliez tout ce à quoi vous avez renoncé. Toutes les possibilités que vous empêcher de se réaliser. Vous n'êtes pas horribles et ce n'est pas l'enfer ; mais vous passez à côté de beaucoup trop de choses, de toute la richesse que l'humanité pourrait avoir.
— Et on passe à côté de la zombification et de toutes les maladies génétiques.
— Je sais bien ! Justement ! Je ne voudrais jamais effacer la diversité, jamais tout contrôler. Mais peut-être que ces choses là on pourrait. Peut-être que ça ça n'aurait rien d'horrible ni de privatif. Juste se protéger de ce qui est indéniablement mal.
— Tu crois vraiment que tu ne peux pas écrire ça ? Tu crois que vouloir protéger les générations futures des maladies est une opinion extrême complètement inavouable ?
— Ça l'est. Parce que ça ouvrirait la porte à trop de choses. Il suffit de voir tout ce que vous considérez comme des maladies. Je me demande combien j'en ai à tes yeux d'ailleurs.
— Je ne sais pas. Je ne me pose pas la question. Tu es une bête curieuse de toute façon. Tu viens de Dievex alors tu n'es pas soumise aux mêmes critères. »
Loïc rigolait en disant ça. Liberté rigola en l'entendant ; elle aimait ses taquineries, parce qu'elle pouvait en faire autant avec lui. Ils étaient différents, et choisissaient dans rire. Mais, malgré tout, elle savait qu'il y avait une part de vérité dans son ironie. Il la considérait comme à part, et ce n'était pas nécessairement une bonne chose. Il avait beau l'apprécier comme elle était, elle savait pertinemment que jamais il ne l'aurait laissée naître telle qu'elle est s'il avait été en charge de sa conception. Et cela lui faisait de la peine : trop petite, trop impulsive, trop révoltée, trop changeante, trop critique, trop dissipée, trop caractérielle, trop libre, pas assez mince, pas assez hétéro, pas assez linéaire dans sa manière de pensée, pas assez résignée, pas assez adaptée, des allergies, de l'asthme, les ongles cassants, la vision défaillante, l'humeur trop changeante,... Qui pouvait être sûr que les dievexois s'en tiendraient à éradiquer la zombification ? Ils ne s'en tiendraient pas là. Mais qui pourrait empêcher qu'ils n'aillent trop loin ?
Elle ne savait pas sur quel bouton elle appuierait : oui ou non ? Le référendum n'était pas spécifique à la zombification. Un oui signifierait accepter de commencer à autoriser les pratiques eugéniques. Bien sûr, il y aurait des limitations, et les dievexois fixeraient probablement des bornes très contraignantes. Mais dire oui, ce serait ouvrir la voie à des évolutions futures, s'engager sur un chemin dangereux. Et pouvait-on prendre un risque, quand ce qui était en jeu était toute l'évolution de l'humanité ? Faisait-elle confiance aux dievexois à ce point ?
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Humains néanmoins
Science FictionIl est né avec collé sur son berceau une cartographie de son patrimoine génétique, choisi par ses parents et définissant dans les moindre détails qui il est destiné à devenir. Elle est née dans une couveuse artificielle, de la rencontre de deux gam...