Il y avait entre Loïc et moi une attirance inexplicable, plus forte que je n'en avais jamais ressenti. Et j'ai regretté d'être à Chesna. Soudainement j'ai compris pourquoi les autres Dievexois ne tardaient pas tant que moi à subir l'opération de stérilité. J'avais déjà eu envie de me retrouver dans le lit de certains humains qui avaient croisé mon chemin ; mais jamais à ce point là. Je n'avais jamais eu assez envie pour prendre la décision. Je préférais attendre encore : pas nécessairement la personne que j'épouserai, mais au moins quelqu'un avec qui je pourrais vraiment partager quelque chose de réel. C'était juste ce que je voulais moi : pouvoir partager quelque chose qui ne soit pas seulement physique, mais un millier de choses à la fois. Quelque chose qui signifie vraiment tout ce que ça avait la possibilité de signifier, qui ait le plus de sens et d'intensité possible.
Je comprenais déjà que certains souhaitent pouvoir vivre ça même si ce n'était que physique. Mais en voyant Loïc, je l'ai encore mieux compris : l'envie devenait si forte. Beaucoup trop forte. Au point de me rendre irresponsable. Mais je n'ai pas été irresponsable ; pas tant que ça restait uniquement une attirance physique en tout cas. Parce que je savais ce que je voulais ; je voulais plus, je voulais tout, je voulais du sens. Sauf que quand c'est devenu plus, quand j'ai réalisé à quel point en même temps ce serait signifiant, les choses ont dérapé. Parce qu'à ce moment là, j'ai eu envie que les choses dérapent, et, d'une certaine manière, j'ai choisi qu'elles dérapent.
La sexualité impliquait le risque de tomber enceinte ; et cela m'avait toujours paru comme une malédiction avant d'aller à Chesna. Nous entendions des histoires : sur le désagrément, la souffrance, les risques. Le souhait d'une grossesse semblait une aberration masochiste ! En voyant les Chesnaiennes, je me demande si tout cela n'était pas juste une propagande pleine d'erreur, une simplification abusive. Peut-être que, comme toute expérience humaine digne d'être vécue, la grossesse implique à la fois des désagréments et des agréments. Si je voulais avoir une vie sexuelle, il fallait d'abord que je me fasse opérer. Faire d'une pierre deux coups : une seule opération qui nous permet à la fois une contraception optimale et de prélever nos gamètes pour la banque de reproduction de Dievex. Opération qui est un grand moment dans la vie de toute Dievexoise ; et qui évidemment avait son équivalent masculin. Mais elle n'avait pas son équivalent Chesnaien, et j'étais à Chesna ; il n'y avait donc pas d'opération possible.
La contraception à Chesna est chimique, et elle est fiable à cent pour cents si tant est que la femme et l'homme prennent chacun les pilules nécessaires. Alors j'ai pris leur pilule, mais je n'étais pas sûre du tout qu'elle soit fiable à cent pour cents sur une Dievexoise comme moi ; à tous les coups, elle nécessitait certains gènes particuliers pour être fonctionnelle. J'ai pris leur pilule parce que je savais qu'il risquait d'arriver quelque chose entre Loïc et moi ; je voulais qu'il arrive quelque chose ! Et c'est arrivé. Ce n'était pas de l'irresponsabilité. Ce n'était pas juste à cause de cette attirance si forte que je ressentais. Je peux me voiler la face en me disant que ça l'était, mais, au fond, je crois que c'était autre chose. Si je dois tout à fait être sincère, je crois que c'était à cause de ces femmes qui souriaient en regardant leur ventre grossissant. Je crois que si je me suis retrouvée dans les bras de Loïc malgré les risques de grossesse, c'est parce qu'à mes yeux les risques n'en étaient pas. Parce que si je m'étais retrouvée enceinte, j'en aurais été heureuse. Parce que c'était la seule chance que j'aurais jamais eue de l'être (enceinte, pas heureuse).
Peut-être était-ce pure affirmation de ma liberté. La sexualité ne l'est-elle pas toujours après tout ? Quelque chose que nous faisons juste pour nous ; à deux mais à deux dans une bulle. Quelque chose qui peut avoir beaucoup d'importance ou n'en avoir aucune. Quelque chose à laquelle chacun donne un sens différent. Tout cela n'est que liberté. Mais, quand elle peut donner lieu à un enfant, la sexualité devient aussi responsabilité. Sauf que choisir ses responsabilités reste une expression de la liberté. Et cet enfant n'aurait pas été un accident. Il aurait été un choix. Je savais quel était le risque ; et j'avais choisi de le prendre.
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Humains néanmoins
Ciencia FicciónIl est né avec collé sur son berceau une cartographie de son patrimoine génétique, choisi par ses parents et définissant dans les moindre détails qui il est destiné à devenir. Elle est née dans une couveuse artificielle, de la rencontre de deux gam...