Parents (Liberté)

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L'obsession de Chesna pour la reproduction n'est malheureusement pas dramatique qu'à cause de la surpopulation. Le pire, c'est qu'absolument tout le monde là bas souhaite avoir des gosses ; et peux en avoir ; et en a ! Comme si l'enfant était le dernier accessoire à la mode ! La mode n'est-elle pas censée changer d'année en année ? Non, à Chesna les enfants sont à la mode de génération en génération ; malheureusement pour les enfants en question. Et malheureusement pour l'humanité qu'ils sont en train de créer.

Je ne nierais pas un instant l'importance des enfants : ils sont ce qu'il y a de plus important ! Et c'est justement parce qu'ils sont importants qu'ils ne doivent pas être pris à la légère. Devenir parent est une responsabilité faramineuse. Je ne vois pas comment il pourrait s'agir d'un droit de chacun. Au nom de quoi ? Il leur semble pourtant évident de ne pas laisser n'importe qui être médecin, ou construire des immeubles, ou exercer une quelconque fonction. Il faut des diplômes pour absolument tout : même dans les rôles ou on ne risque ni de tuer quelqu'un ni de voir s'écrouler des bâtiments. Alors pourquoi l'éducation est-elle tellement négligée ? Est-ce qu'élever la génération de demain n'est pas la responsabilité sociale la plus importante de toutes ? N'est-elle pas celle dont dépendra tout le reste ? Alors pourquoi la confier à n'importe quoi ? Pourquoi la confier à tout le monde sans exception ? Il n'y a rien d'odieux à s'assurer des compétences d'un individu avant de lui confier une responsabilité.

Il n'y a rien d'odieux à ça, dès lors bien sûr qu'on fait en sorte d'avoir donné à chacun les mêmes chances d'acquérir ces compétences. Bien sûr, ce n'est pas comme si nous faisions des tests génétiques pour savoir lesquels d'entre nous sont disposés à être de bons parents. Ça, ce serait peut-être plus odieux encore que de laisser n'importe qui être parent, vu que nous ne choisissons pas nos gènes et qu'il n'y a aucune raison que nous soyons privés de droits par nos prédispositions quand nous pouvons toujours les dépasser. Mais, il est simplement inadmissible de laisser de pauvres enfants être éduqués par des êtres humains n'ayant aucune connaissance en pédagogie et en psychologie, ou par des êtres humains qui voudraient des enfants pour les mauvaises raisons. Devenir parent est le choix le plus important que nous puissions faire : un choix qui nous engage pour la vie, et dont dépend la vie d'un autre être que nous. Alors oui, pour devenir parent il faut avoir de la motivation. Devoir assister à quelques cours, passer un examen et quelques entretiens, je ne vois pas en quoi ce serait scandaleux.

Je suis rassurée de savoir qu'aucun enfant dievexois ne naîtra pour être remis à des parents qui voudraient simplement lui mettre des nœuds dans les cheveux et le promener pour qu'il soit admiré, qui le poseraient dans un coin quand ils ne sont pas d'humeur à s'occuper de lui, qui penseraient que le taper est le meilleur moyen de lui apprendre des choses, ou n'importe quoi de ce genre. De tous temps et partout, les mauvais parents ont existé. Je me demande même si les parents parfaits existent quelques parts. Nous sommes tous un peu écorchés, fêlés, éraflés, si ce n'est pas complètement brisé. Aucun être n'est parfaitement équilibré : nous avons nos doutes, nos craintes, nos manques d'assurance, nos complexes, nos regrets. Tout ce que nous vivons nous affecte et nous forge, et bien sûr rien n'est jamais parfait. Mais de bons parents, c'est déjà beaucoup. Et de bons parents, c'est avant tout des parents qui comprennent qu'être parent n'est pas un droit, mais une responsabilité. Des parents qui auront choisi de devenir parent pour leur enfant, et pas pour eux-mêmes. Des parents qui voudront être le parent d'un être humain, d'un être libre, et pas d'une poupée ou d'une sculpture en pâte à modeler.

Je suis libre. Si ma mère a eu des préférences quant à ce qu'elle aurait voulu que je devienne, et si elle m'en a parlé ouvertement, elle m'a toujours mentionné les autres possibilités, encouragée à me confronter à d'autres points de vue, et laissée seule décisionnaire de mes choix. Parfois, mes choix ne lui ont pas plu, et elle l'a exprimé. Mais, à Dievex, il est si normal, si sain, de décevoir parfois ses parents, que jamais leur avis n'emprisonne personne. J'ai eu tant de débats avec ma mère que je ne peux pas imaginer une autre façon de grandir. Comment concevoir une vie où ne pas être d'accord avec elle me rendrait triste ? J'ai mes propres opinions : n'est-ce pas normal ? N'est-ce pas humain ? N'est-ce pas ce qui permet à l'humanité d'avancer ? Et si je ne suis pas d'accord avec ma mère sur tous les sujets, ce n'est pas parce que je ne partage pas ses gènes. C'est parce que ma vie n'est pas définie par mes parents. Je suis ma propre personne, fruit de multiples influences; et donc d'aucune.

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant