Sélection (Liberté)

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Devrait-on refuser d'ajouter à la banque commune les gamètes porteurs du gène codant pour la zombification ? Devrait-on effectuer des analyses sur les embryons avant l'implantation dans la couveuse et ne sélectionner que ceux exempt de la mutation ? Réouverture d'un vieux débat, sur lequel l'avis des Dievexois n'avait pas changé depuis plusieurs générations, quand ils avaient été décidé que les maladies étaient le prix de la diversité et que tout eugénisme est en soi condamnable. Énième réouverture du débat, qui ressurgit à chaque nouvelle maladie et sur lesquels les avis finissent toujours par s'exprimer unanimement lors d'un référendum. Le choix de Dievex est toujours le même : "Non à l'eugénisme". Mais nous sommes libres, et cette liberté n'existe pas si nous considérons qu'une question à laquelle les générations précédentes ont apporté leur réponse ne doit pas être rouverte. Alors nous votons, souvent, pour nous interroger de nouveau et nous laisser la possibilité d'évoluer. Le prochain vote sera en fin d'année, mais il n'y a pas vraiment de suspens sur l'issue du débat.

C'est peut-être en partie pour ça que je suis partie à Chesna. Je connais d'avance le résultat du référendum, et au fond de moi je ne suis pas sûre d'être d'accord. J'aurais voulu que les choses puissent évoluer. Je voulais comprendre ; comprendre ce qu'il y avait de si terrible dans les pratiques de Chesna, ce qui est horrible au point de nous pousser à refuser ce qui me semble pourtant un progrès souhaitable. Mon patron souhaitait probablement que, dans la série d'articles qui en découlerait, je rappelle à nos citoyens les terribles dérives de l'eugénisme, le résultat inadmissible auquel on risque d'arriver en s'engageant sur ce genre de pente. Quant à moi, je crois que je cherchais autre chose. Peut-être aurais-je voulu pouvoir déterminer s'il était possible d'incorporer dans nos mœurs la possibilité de quelques manipulations génétiques, juste dans un but de santé publique, sans pour autant sombrer dans des dérives comme celles de Chesna.

Je crois qu'un compromis est possible. C'est pour ça que j'envisage de voter oui au référendum. Afin de permettre un jour la sélections d'embryons qui permettrait d'empêcher de voir naître des enfants porteurs du gène de la zombification. Mais, si je dis un jour aux Dievexois avoir voté oui, ils m'en voudront et ne comprendront pas. Ils penseront que ça signifie que je souhaite que ma mère n'ait jamais été née. Ils penseront que ça signifie que je voudrais que l'on puisse choisir chaque gène de nos enfants comme à Chesna. Incapables d'apprécier les nuances, s'ils savent que j'ai voulu faire le test génétique concernant la zombification, ils penseront que je souhaite avoir une carte complète de mon patrimoine génétique.

Ils ne me comprennent pas ; mais malgré tout je suis heureuse de vivre à Dievex, et je comprends le pourquoi des décisions qui ont été prises lors de nos référendums. Car à Chesna, c'est bien pire encore. Cela ne signifie pas pour autant que Dievex est parfait. Je reste contre l'eugénisme systématique ; mais je pense que parfois, peut-être, dans certains cas, en prenant nos précautions, on pourrait se permettre de faire une exception. Peut-être. Je ne suis pas vraiment sûre : ni de ma croyance, ni de mon vote.

Je sais que les arguments de Loïc ont du sens, et que laisser choisir le hasard n'est en rien prendre la responsabilité de l'avenir de l'humanité. Sauf que je sais aussi que leur façon de faire à Chesna ne permettrait aucune évolution du tout, ne laisserait sa chance à aucune mutation. Ils contrôlent tout : aucun nouvel allèle ne peut apparaître. Aucune possibilité de nouveauté, n'y a t'il pas pire sort que ça pour l'humanité ? Je sais que là bas l'humanité n'évolue pas. Et peut-être que je préfère encore la voir évoluer au hasard, plutôt que de la voir stagner pour l'éternité. Mais peut-être aussi qu'il y aurait une troisième option. Non ?

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant