Euthanasie (Liberté)

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Lutter contre les maladies doit être la première préoccupation des scientifiques. Favoriser le bien-être la seconde. Mais ces préoccupations ne peuvent pas être satisfaites à n'importe quel prix. La science, comme la liberté, doit avoir des limites. L'eugénisme est la ligne qui ne doit pas être franchie. Ce n'est pas une lubie ou une crainte infondée ! Choisir les gènes de nos enfants est un crime contre leur liberté. Si nous pouvions choisir chacun nos propres gènes au cours de notre vie, il serait probablement autorisé de le faire.

Mais on ne peut pas choisir pour nos enfants : chacun doit pouvoir faire ses propres choix ; personne d'autre ne peut les faire pour lui. Personne : pas même ses parents ou ses enfants. La liberté d'autrui doit toujours être la limite : la limite de notre liberté, et la limite de la science. Préserver la liberté de tous reste la priorité. Nous sommes les seuls à pouvoir faire les choix qui nous concernent. C'est pour ça que maman est là dans cet état d'humain non-humain, et qu'elle le restera jusqu'à ce qu'ils trouvent un remède ou qu'elle meure de sa mort naturelle. Si c'était moi, j'aurais demandé que l'on m'achève. Mais si c'était moi, je ne serais déjà plus en état de faire un choix ; vu que comme elle, je ne serais plus en état de penser.

Je le demande par avance. Je demande à être euthanasiée si jamais j'en arrive à me retrouver dans cet état. Et je risque de m'y retrouver ; risque bien trop fort. Mais ce n'est pas dramatique après tout. Il y a de très nombreuses générations de cela, l'espérance de vie était bien moins longue que celle que nous avons aujourd'hui. 70 ans de vie, ce n'est pas si mal après tout. Il suffit de changer de cadre de référence pour accepter l'idée. C'est déjà magnifique que d'avoir le droit de vivre si longtemps : une chance magnifique que personne ne semble mesurer. Une chance, mais aussi une responsabilité. Parce que chaque vie consomme les ressources de la planète, chaque vie prend aux autres. Alors il faut donner, donner pour compenser. Et profiter, pour ne pas gâcher la chance qui nous est donnée. Chaque vie coûte à la société et coûte à la planète. Une vie de zombie ne vaut certainement pas ce coût là. Raison supplémentaire d'y mettre fin.

Après la découverte de la zombification, chaque Dievexois a été emmené à faire son choix et signer des documents concernant les dispositions à prendre si la maladie se déclarait. Beaucoup ont pris la même décision que moi ; ils ont demandé à ce que l'on mette fin à leur vie dès l'apparition des symptômes. Mais c'est une décision qui doit être prise individuellement. Bien sûr que l'euthanasie est autorisée ; et bien sûr également qu'elle ne peut pas être imposée. Il aurait été bien hypocrite de l'interdire en nous préconisant à côté de limiter la natalité ; mais jamais on n'en viendrait à tuer qui que ce soit sans son accord. Un jour, moqueur, Loïc m'a demandé si nous ne comptions pas soumettre à un référendum l'idée de tuer toutes les victimes de la zombification pour lutter contre la surpopulation. Mais personne chez nous n'aurait pu suggérer cette idée : nous ne sommes pas des meurtriers !

La vie, une fois donnée, est l'entière propriété de la personne qui la reçoit : cette personne est la seule décisionnaire de ce qu'elle choisira d'en faire et la seule qui pourra décider jusqu'à quand la poursuivre et quand lui donner fin. Enfin... la seule décisionnaire avec la vie, la nature, la contingence, le hasard : car malheureusement trop souvent la mort n'est pas choisie. Nous ne contrôlons pas tout nous-même, mais ce qui est essentiel c'est qu'aucun autre humain ne contrôle pour nous. Le hasard est préférable. Il serait faux de dire que chaque personne décide de sa propre mort ; mais il est exact de dire qu'aucun autre humain ne peut se permettre de décider pour elle ! Et nous devons nous efforcer de maintenir le plus longtemps possible en vie ceux qui le sont, à moins qu'ils n'expriment le souhait contraire. C'est évident !

Et, peut-être que c'est une bonne chose que maman reste en vie. Peut-être que c'est ce qu'elle aurait voulu. Peut-être que, contrairement à moi, elle aurait cru qu'il y avait encore l'espoir qu'ils trouvent un remède. L'espoir de guérison ; c'est après tout la seule chose qui justifierait vraiment du fait de vouloir rester en vie dans de pareilles conditions. Mais les scientifiques ne semblent pas trouver de remède. La seule chose qu'ils peuvent proposer est une solution préventive : éradiquer le gène chez les générations futures. Ce qui ne serait déjà pas si mal ; ou en tout cas ne l'aurait pas été s'il s'était agi d'une solution que nous aurions été prêts à adopter. Mais quand le la question sera soumise à référendum, les Dievexois répondront tous non. Car à nos yeux, l'eugénisme est forcément une abomination. Il l'a toujours été aux miens aussi, mais je suis de moins en moins sûre de mon opinion sur la question. Détecter le gène de la zombification chez les fœtus et n'implanter dans la couveuse que ceux qui ne l'auraient pas possédé ; serait-ce vraiment un tel crime ?

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant